Recueil posthume de chroniques journalistiques dont
Henri Calet avait choisi le titre mais qu'il n'a eu ni le temps ni le loisir de revoir ou corriger avant sa mort survenue brutalement le 14 juillet 1956. Publiées à l'origine entre 1944 et 1948 dans divers journaux (Combat, Terre des Hommes, le Clou,
France Soir ou Hommes et Monde etc.) et introduites par
Pascal Pia*. S'il existe un style de l'auteur c'est bien celui que Pia reconnaît en priorité à
Henri Calet dans la vie qu'il faudrait rechercher ici (un certain esprit doux-amer) tant il y transparaît. Lisons. Ce n'est pas exactement le vent de la paix encore moins celui de l'optimisme qui souffle sur ces chroniques en demi-teinte de l'immédiat après-guerre que l'auteur a voulu laisser à la mémoire. L'heure y est encore aux craintes (une dernière offensive allemande en décembre 1944) et aux privations ; on compte les portions, le lait manque et les radiateurs sont froids ; des enfants vagabonds dorment sur les marches du métro à Paris ; on se désespère de ne pas pouvoir encore trop espérer, on lit des lettres en attendant le retour des prisonniers, on écoute la radio ; on parle surtout beaucoup, à l'imparfait, de morts et d'amis disparus ; A noël 1944 a lieu La semaine nationale de l'absent (« Un grand bruit de souliers … » Combat, 18 décembre 1944). L'antisémitisme et la xénophobie perdurent, Combat se fait l'écho de lettres anonymes ignominieuses. Une condamnation par un conseil de guerre américain de plusieurs GI pour vol et trafic de cigarettes fait grand bruit par sa disproportion et mobilise le soutien des lecteurs du journal (« A propos de cette cigarette américaine » - Combat, 26 janvier 1945). le fantôme de Berlin bombardée surgit, Calet y a vécu quelques temps en 1932 ; la guerre a déménagé ses horreurs ainsi qu'il l'écrit. le 1er mai 1945 il est à la Bastille et le même mois il rend compte du retour des survivants des camps (« Hôtel Lutetia », mai 1945) alors que se profile une nouvelle apocalypse : la bombe atomique.
Rien de vraiment anodin – excepté peut-être une visite au musée Grévin ou au jardin d'acclimatation –, dans ce pêle-mêle où l'entrée en matière pourrait effaroucher une cervelle sensible : « Je vous amène Couillard... » (Combat, 13 octobre 1944). Voilà simplement pointée, avant son atmosphère, la vraie nature de la période : « Vous verrez Couillard (Emile), […] Il a maigri, ses cheveux sont blanchis. Et puis, on ne comprend pas bien quand il parle. Une balle lui a brisé la mâchoire. Il a comme un accent. Une autre balle lui a traversé le cou de part en part, près de la carotide. Une autre balle lui a crevé l'oeil droit… Cinq balles en tout dans la tête. Bien visé, Milicien ! » Au milieu des autres chroniques, Couillard reparaît parmi les vivants plusieurs fois, entre deux chirurgies et paré de toutes ses médailles, pour quelques visites à l'indéfectible ami journaliste. Pages courtes et très fortes, mots crus, de ceux qu'on retient. Couillard et Barnabé qui a perdu lui aussi une tranche de figure côté droit (« Héros en visite » - Terre des Hommes, 6 octobre 1945) ou, un peu plus loin, avec Caillet et Doublet, pas mieux lotis (« L'histoire de France à domicile » - Terre des Hommes, 15 décembre 1945)… le reportage en quatre chroniques à la prison de Fresnes est assez bouleversant et finit par donner sens et intention à un ensemble qui porte bien son titre. Calet relève les graffitis sur les murs de chaque cellule et recense quand il peut les noms et les adresses gravés des détenu(e)s. Il part ensuite sur leurs traces en petite et grande banlieue en quête des rescapés de la tragédie. Tout(e)s ont été torturé(e)s, fusillé(e)s, déporté(e)s, ou sont porté(e)s disparu(e)s. A l'exception de deux ou trois ("Les survivants de Fresnes" -
France-Soir, février 1946 et "Ne les oublions pas encore" - Hommes et Monde, juin 1946). Si la quête semble vaine la lecture ne l'est pas et la fin du recueil est éclairée par un élan de solidarité en direction d'enfants errants auxquels Calet s'est attaché et qui ont pu être recueillis dans un foyer de Montreuil (« De bonnes nouvelles de Montreuil » - Combat, 23 septembre 1947).
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Pascal Pia dirigea Combat, d'abord journal clandestin, de 1943 à 1947.