C'est un sentiment un double teinte que m'inspire la lecture de ce roman.
D'un côté, nous retrouvons nombre des thèmes de prédilection de
Jean-Michel Calvez : la rencontre avec l'« Autre » et son lot d'incompréhensions, la colonisation (et sa critique).
De l'autre côté, c'est un roman atypique dans la production que j'ai pu lire de cet auteur, dans le sens où le genre hard-SF et la vision scientifique laissent ici la place à une double narration : deux enquêtes successives, deux points de vue, et à travers eux une immersion tout en subjectivité dans un monde chargé de mystères.
Il se dégage de cette histoire quelque chose de fort, qui marque. Et ce n'est pas uniquement dû aux thèmes forts (durs ?) et atypiques qui y sont approfondis, ni à l'univers particulièrement riche et palpable. On sent qu'il y a du gros investissement dans ce roman, de ceux qui vous poussent à faire autrement, à dire autrement, à dire autre chose.
Malheureusement, le style narratif choisi pour le premier récit – celui d'Orfeu, le journaliste – m'a heurté personnellement. Un style extrêmement sensoriel, où les contemplations se mêlent aux rêveries mélancoliques. Une technique récurrente utilisée par l'auteur m'a agacé en particulier : l'extrême récurrence de quelques descriptions de l'univers (les monts Kearsen, l'atoll de Tycho, le tableau holographique…), chaque fois déclinées sous un angle légèrement différent. Il en va de même pour le musidancer (ou son souvenir), qui est moins un personnage qu'un énième morceau de ce background.
Avec le second récit – celui de Lucio – le style change pour adopter celui d'une enquête plus classique avec son lot de suspense et de rebondissements.
Ce ressenti vis-à-vis du style reste très personnel à mon avis. La preuve en est l'avis de Stelphique, qui semble avoir davantage apprécié le premier récit !
J'ai trouvé cette forme de double récit particulièrement ingénieuse, adaptée à cet univers et aux thèmes abordés : pour parler de l'incompréhension dans ce qu'elle peut avoir de plus extrême, essentielle, s'offrir deux points de vue n'est pas un luxe, sans compter celui de « l'Autre », véritable noeud de l'intrigue.
L'histoire avance à son rythme, un peu particulier. Elle questionne beaucoup, mais ne déçoit pas : à l'arrivée les réponses sont bien là (le vertige aussi), et ouvrent le champ à de profondes réflexions, mais là s'arrête le rôle de l'auteur, n'est-ce pas !
Pour le lecteur souhaitant se faire une idée précise des nombreux thèmes humains abordés,
je recopie ici la liste des douze mots figurant à la fin du premier récit :
[spoiler]
Amour et souffrance
pitié et trahison
torture et jouissance
art et destruction
curiosité et vengeance
rage et compassion
[/spoiler]
Note : l'illustration sur la couverture de l'édition d'Atria est magnifique par ses détails, très conforme au monde décrit.