Les vagues déferlent sur le pont, l'océan se fait sauvage, l'écume blanchâtre lèche le sol lavé des pêchés de ce bas-monde. Les matelots alignés par vents et marées, la vieille corvette rentre à son port. Les marins débarquent, les bars seront bruyants cette nuit, les femmes sortent leurs sourires en plus de leurs parures. Nuit de sueur. A son bord, reste
Bom-Crioulo, un colosse ébène, la sueur luisante, le regard troublant. Les muscles saillants, cette machine dans la tête, le cuirassé noir, machine sourde et tempête, le corps fier, leitmotiv, nuits secrètes. A son bord, le jeune Aleixo, charmeur et charmant mousse, le corps fragile d'un éphèbe dans la nuit brésilienne. Un regard, un sourire, sur un quai humide, la sueur brûlante. Saudade.
Bom-Crioulo promène son jeune protégé, le bel et innocent Aleixo. Là où avec les autre marins je m'engouffre dans la Rue de la Soif, le "couple" s'enfuit dans les méandres des ruelles, sombres et silencieuses, odeurs de pisse et chaleur moite, jusqu'à la
Rue de la Miséricorde. Une petite chambre dans une mansarde, louée par une grosse portugaise, l'âge fanée mais encore belle, le début d'une belle histoire. de regard, déshabille-toi, de toucher, retourne-toi, de désir, la sueur coule, de plaisir, la jouissance s'écoule. Là où d'autres verraient deux bêtes consommer le délit du péché, j'y vois un profond amour de la part du cuirassé noir, le genre d'amour qui se passe de mots, délices silencieux, et qui se joue dans la profondeur des yeux.
Mais qu'on se le dise, le roman d'Adolfo Carminha n'eut pas un chaleureux accueil, contrairement au mien. La littérature sud-américaine est souvent virile, empreinte d'une grande violence. Celle-ci ne déroge pas à la règle, la virilité est différente, la violence reste sous-jacente, mais pour contrebalancer ce flot de stupre, j'embarque sur le pont, affrontant les déferlantes qui renversent les hommes et les sentiments, à l'exception de ce beau cuirassé noir. Parce que le roman n'en reste pas moins tabou pour l'époque. Écrit en 1895, l'auteur ose parler ouvertement d'homosexualité masculine et le sexe devient même des moments de pure poésie. Et même si le Brésil a libéré cette année-là l'ensemble de ses esclaves noirs,
Bom-Crioulo garde en nous, lecteur passionné de mer et d'Amérique du sud, cette image forte d'un esclave entre coups de fouets et émancipation. Bref, pour une fois je vais donner mon avis personnel, j'ai trouvé que cette
Rue de la Miséricorde est un grand roman qui navigue entre plusieurs eaux.