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EAN : 9782070319138
472 pages
Gallimard (09/06/2005)
4.33/5   9 notes
Résumé :
Comment le diable est-il possible ?
En 1632, la ville de Loudun est durement éprouvée par la peste. Les croyants se retirent, s'enterrent dans leurs petites communautés assiégées par cette épreuve de la colère divine. Parmi elles, les ursulines.

La possession des sœurs prend alors le relais de la peste : les premières apparitions – fantôme d'un homme de dos – sont nocturnes, puis elles deviennent diurnes, se précisent, et revêtent la forme obsé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ce jésuite cofondateur avec Jacques Lacan de l'École freudienne de Paris, puis titulaire de la chaire de recherche d'anthropologie historique des croyances à l'EHESS, fait ici une analyse d'une remarquable finesse de l'affaire de Loudun, une démonomanie qui a agité toute la France, jusqu'au roi Louis XIII, de 1632 à 1637.

L'affaire est la possession démoniaque de plusieurs soeurs Ursulines, un ordre de création récente et d'une mystique exaltée. Elle va mettre en jeu l'autorité de l'état et de l'église, " le sceptre et la crosse ". Elle entraîne l'afflux d'exorcistes pendant cinq ans, la maltraitance des soeurs (dont Jeanne des Anges, d'ascendance noble), le procès à charge mené par Laubardemont, commissaire de Richelieu, contre l'un des curés de Loudun, Urbain Grandier, la mort de ce dernier sous la torture, qui ne met pas fin à la possession, et enfin l'apothéose de Jeanne des Anges.

On y trouve le pouvoir du langage : latin des adjurations, langues non apprises par les possédées, nomenclature des démons, symbolique des odeurs, langage des corps étroitement observés (" Les religieuses sont aliénées par le regard public, bien plus que par le diable "). Les crises de possession sont d'abord spontanées (" Elles commencèrent à crier et appeler Grandier, dont elles étaient tellement éprises que ni les autres religieuses, ni toutes autres personnes n'étaient capables de les retenir. Elles voulaient l'aller trouver, et pour ce faire, montaient et couraient sur les toits du couvent, sur les arbres, en chemise, et se tenaient tout au bout des branches. Là, après des cris épouvantables, elles enduraient la grêle, la gelée et la pluie, demeurant des quatre ou cinq jours sans manger " (page 67). " Ils apprirent, par la déposition desdites religieuses qu'ils entendirent séparément, que, la nuit, lorsqu'elles étaient retirées, quelques-unes d'elles avaient entendu ouvrir leur porte, quelques personnes monter par leur degré, et ensuite entrer en leur chambre avec quelques lumière obscure qui causait quelque sorte d'horreur " (p 142) (l'oxymore est des rapporteurs).

Puis les crises sont provoquées par les mises en scènes publiques, l'introduction du Doigt Sacré (p 270), les jeux concurrents et dangereux des médecins et des exorcistes (voir p 241 comment l'exorciste interrompt et relance la saignée infligée par les Messieurs de la Faculté). " Arrivant pour être exorcisées, ces filles sont mises sur un banc, la tête appuyée sur un oreiller, les mains dans des menottes faciles à rompre au moindre effort et liées sur le banc avec deux courroies par les jambes et par l'estomac. Tout cela d'abord donne la pensée que c'est enchaîner des lions. Mais sitôt que le démon paraît, on détache les filles et on les laisse en pleine liberté, de sorte qu'elles sont liées comme filles et relâchées comme démons " (p 170). Les comptes rendus de l'époque décrivent parfaitement l'opisthotonos (p 219) qui sera illustré bien plus tard par Charcot, mais l'hypnose est ici remplacée par les fumigations et par les drogues, per os ou en clystère.
Loudun a réchappé à la peste et aux guerres de religion, mais l'opposition des catholiques et des huguenots reste présente : il faut mettre un terme impérativement au désordre religieux et profane. A cette fin il faut un sorcier puisqu'il il faut un coupable qu'on puisse atteindre et punir, en vue d'un châtiment et d'une fin, et ce coupable ne peut être le démon, admis dans son existence par la théologie de l'époque comme incarnation du mal, et qu'on ne saurait punir. Laubardemont trouve en Grandier un parfait bouc émissaire. Il est coquet, fin et spirituel " Il était de grande taille et de bonne mine, d'un esprit également ferme et subtil, toujours propre et bien mis, ne marchant jamais qu'en habit long " (p 107). C'est un libertin assumé, auteur d'un " Traité contre le célibat des prêtres " (" Bref, pour conclure avec Saint Paul : qui se marie fait bien ; qui demeure vierge fait encore mieux. Pour moi, je me contente de faire le bien. Fasse le mieux qui pourra… " (p 122).

Le possible, le doute, le soupçon mènent à la " vérité " et au jugement. Les défenseurs de Grandier ont des arguments de bon sens : " On nous dit que le diable est menteur et médisant, et néanmoins on veut que nous croyions ce qu'il dit particulièrement quand c'est quelque chose pour nuire au curé ou quand il calomnie les plus vertueux, mais s'il parle à la décharge de Grandier, il est menteur… " (page 279). Mais Grandier est mis au secret sans savoir de quoi on l'accuse précisément et ses défenseurs sont menacés par Laubardemont, selon les méthodes qui réussiront plus tard à Staline. Grandier est " sondé et piqué jusqu'aux os en plusieurs endroits de son corps " à la recherche des " marques indolores " (p 313), puis soumis à la torture de la question ordinaire et extraordinaire, enfin brûlé vif dans une chemise soufrée devant six mille spectateurs. Les crises de possession se poursuivent après sa mort, évoquant d'innombrables libelles de la part des " possessionistes " et des " anti-possessionistes " sur la réalité de la possession d'une part, sur la culpabilité de Grandier d'autre part.

Les loudunais finissent par se lasser de l'affaire et de l'afflux des touristes. Surin, un nouvel exorciste moins spectaculaire, traite les possédées avec plus de charité et devient lui-même obsédé par le démon, tandis que Jeanne des Anges s'améliore. Elle est miraculeusement " délivrée " le 15 octobre 1637 et entame une tournée triomphale de cinq mois où elle passera à Paris voir le roi. le meurtre sacrificiel a fonctionné. A postériori, elle analyse finement les bénéfices secondaires de sa possession : " le diable me trompait souvent par un petit agrément que j'avais aux agitations et autres choses extraordinaires qu'il faisait dans mon corps. Je prenais un extrême plaisir d'en entendre parler et j'étais bien aise de paraître plus travaillée que les autres, ce qui donnait de grandes forces à ces esprits maudits, car ils sont bien aise de nous pouvoir amuser à regarder leurs opérations, et, par-là, il s'insinuent peu un peu dans les âmes et prennent de grands avantages sur elles " (p 63).

Une superbe contribution à l'histoire des idées en théologie, en psychiatrie, en sociologie et en politique.

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Un travail d'historien, où toutes les sources sont recensées, et qui essaye de comprendre comment cette histoire de possession a pu se mettre en place. de larges extraits de lettres, de procès-verbaux et autres relations des évènements sont reproduits pour appuyer l'argumentation de l'auteur.
Le contexte historique pourrait être symbolisé par la figure de Richelieu - qui s'est plus ou moins occupé personnellement de cette affaire -, premier ministre de Louis XIII et cardinal de l'Eglise, c'est-à-dire un homme qui évolue dans les plus hautes sphères du pouvoir religieux et politique. Les guerres de religion entre protestants et catholiques avaient marqué profondément la société française au seizième siècle, l'édit de Nantes et le siège de la Rochelle faisaient partie de l'histoire récente. Et Loudun avait été un bastion de la religion réformée. Richelieu combattait fermement les protestants, mais il était aussi l'artisan de la centralisation qui aboutira à la monarchie absolue de Louis XIV. Cet aspect politique était encore quelque chose de nouveau, la fronde n'avait pas encore eu lieu, mais les tensions étaient bien là. Et Loudun possédait également un château que Louis XIII voulait faire démolir dans sa grande entreprise de sape du pouvoir aristocratique. Loudun, dans les années 1630, reste donc un symbole de la lutte protestante mais pourrait être aussi un symbole de l'aristocratie provinciale. Et c'est dans cette crise sociale, ce passage du religieux au politique, ces lignes de fronts pas claires, mouvantes, qu'éclate l'affaire des possédées de Loudun.
Il y a donc une perte de confiance inavouée dans les moyens de L'Eglise, une augmentation du doute, qui se caractérise par une transformation du langage, des différents discours. le moment est proche où Descartes cessera de privilégier le latin et commencera à publier en français. le dilemme des possessionistes - ceux qui accordent du crédit à une possession surnaturelle - est donc de s'accrocher à une ancienne forme de pensée, à un langage qu'ils essayent pourtant de réformer, alors que le mal est plus profond et qu'eux-mêmes doutent trop de ce langage. Ainsi, se forme une artificialité essentielle, un lieu de spectacle, avec son langage, son décor, sa scène, c'est-à-dire un théâtre. Un drame espéré par les possessionistes, qui se révélera davantage être une tragi-comédie, avec les possédées et le sorcier dans le rôle des acteurs, les exorcistes en guise de metteurs en scène, Richelieu comme producteur, et tous les autres spectateurs dont notamment les médecins, les théologiens et autres doctes gens. Peut-être pourrait-on laisser un petit rôle au diable dans tout ça, celui du scénariste.
Un ouvrage qui envisage beaucoup de côtés par lesquels cette possession de Loudun peut être abordée. L'un d'eux est le langage, celui des différents spécialistes, ses évolutions et le caractère aliénant qu'il peut revêtir, la privation de parole aussi. Tout ça se manifestant dans la polémique théologique qu'a suscitée la possession de Loudun : Peut-on contraindre le diable, le Menteur par excellence, à dire la vérité ? Tous ces propos très intéressants sur le langage n'empêchent pourtant pas Michel de Certeau de tomber dans certains écueils généralistes de la théorie psychanalytique, comme lorsqu'il déduit les principaux traits de caractère d'Urbain Grandier d'une lettre anodine de sa mère et de sa relation à papa-maman. Comme quoi…
Pour conclure, un peu de poésie. Michel de Certeau a reproduit dans son livre un sonnet plein de bon sens, écrit par Du Bellay quatre-vingts ans avant l'affaire des possédées de Loudun et adressé à son ami Rémi Doulcin, prêtre et médecin :

Doulcin, quand quelquefois je vois ces pauvres filles
Qui ont le diable au corps, ou le semblent avoir,
D'une horrible façon corps et tête mouvoir,
Et faire ce qu'on dit de ces vieilles sibylles ;

Quand je vois les plus forts se retrouver débiles,
Voulant forcer en vain leur forcené pouvoir,
Et quand même j'y vois perdre tout leur savoir
Ceux qui sont en votre art tenus des plus habiles ;

Quand effroyablement écrier je les ois,
Et quand le blanc des yeux renverser je les vois,
Tout le poil me hérisse, et ne sais plus que dire.

Mais quand je vois un moine avecque son Latin
Leur tâter haut et bas le ventre et le tétin
Cette frayeur se passe, et suis contraint de rire.
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Génial, mais génial. Humble, à la différence des enfants de la bourgeoisie provinciale pratiquement entièrement férue du dix-neuvième siècle, de son emphase, de sa mégalomanie. Grand, à la différence d'eux, sur tous les plans. de Certeau aurait presque souhaité qu'on ne mentionne pas son nom sur la couverture.Il n'avait pas besoin de compliments personnels, de reconnaissance individualisée, de privilèges d'école. A la différence de tous les dix-neuviémistes qui n'ont jamais cessé d'être élèves de quelqu'un. Il est maître de lui, et il n'a même pas besoin de son nom pour sa propre reconnaissance. Il est à ce point vrai historien.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Arrivant pour être exorcisées, ces filles sont mises sur un banc, la tête appuyée sur un oreiller, les mains dans des menottes faciles à rompre au moindre effort et liées sur le banc avec deux courroies par les jambes et par l'estomac. Tout cela d'abord donne la pensée que c'est enchaîner des lions. Mais sitôt que le démon paraît, on détache les filles et on les laisse en pleine liberté, de sorte qu'elles sont liées comme filles et relâchées comme démons
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Le diable me trompait souvent par un petit agrément que j'avais aux agitations et autres choses extraordinaires qu'il faisait dans mon corps. Je prenais un extrême plaisir d'en entendre parler et j'étais bien aise de paraître plus travaillée que les autres, ce qui donnait de grandes forces à ces esprits maudits, car ils sont bien aise de nous pouvoir amuser à regarder leurs opérations, et, par-là, il s'insinuent peu un peu dans les âmes et prennent de grands avantages sur elles
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D'habitude, l'étrange circule discrètement sous nos rues. Mais il suffit d'une crise pour que, de toutes parts, comme enflé par la crue, il remonte du sous-sol, soulève les couvercles qui fermaient les égouts et envahisse les caves, puis les villes.
p. 7
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Bref pour conclure avec Saint Paul : qui se marie fait bien ; qui demeure vierge fait encore mieux. Pour moi, je me contente de faire le bien. Fasse le mieux qui pourra… (dans le "Traité contre le célibat des prêtres" d'Urbain Grandier, cité page 122)
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Videos de Michel de Certeau (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Michel de Certeau
Par Annette WIEVIORKA, directrice de recherche émérite au CNRS
Tout historien, et même préhistorien, établit un lien avec "ses" morts dont il tente de restituer l'histoire, de la Lucy d'Yves Coppens aux morts qui sont ses contemporains. L'opération historiographique a souvent été décrite, de Jules Michelet à Michel de Certeau, comme opération de résurrection des morts et oeuvre de sépulture de ces morts qui hantent notre présent. Il y a aussi d'autres morts. Ceux des siens qui sont autant de dibbouk pour l'historien parce qu'ils ont orienté sa vie. Ce sont des morts fauchés avant d'avoir été au bout de leur vie, des morts scandaleuses. "Je suis le fils de la morte". Ce sont les premiers mots de l'essai d'égo-histoire de Pierre Chaunu. Ces morts nourrissent les récits familiaux, devenu un nouveau genre historique, de Jeanne et les siens de Michel Winock (2003)("La mort était chez nous comme chez elle") à mes Tombeaux (2023). Les morts de la Shoah occupent une place tout à la fois semblable et autre. C'est la tentative d'éradiquer un peuple, la disparition du monde yiddish dont ceux qui en furent victimes prirent conscience alors même que le génocide était mis en oeuvre. Ecrits des ghettos, archives des ghettos, rédaction de livres du souvenir, ces mémoriaux juifs de Pologne écrits collectivement pour décrire la vie d'avant, recherche des noms des morts, plaques, murs des noms, bases de données.... Toute une construction mémorielle. Vint ensuite le temps du "je"(qui n'est pas spécifique à cette histoire) , celui des descendants des victimes, deuxième, troisième génération, restituant l'histoire des leurs. Chaque année, plusieurs récits paraissent, oeuvres d'historiens ou d'écrivains, qui usent désormais des mêmes sources, témoignages et archives, causant un trouble dans les genres.
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