Un travail d'historien, où toutes les sources sont recensées, et qui essaye de comprendre comment cette histoire de possession a pu se mettre en place. de larges extraits de lettres, de procès-verbaux et autres relations des évènements sont reproduits pour appuyer l'argumentation de l'auteur.
Le contexte historique pourrait être symbolisé par la figure de Richelieu - qui s'est plus ou moins occupé personnellement de cette affaire -, premier ministre de Louis XIII et cardinal de l'Eglise, c'est-à-dire un homme qui évolue dans les plus hautes sphères du pouvoir religieux et politique. Les guerres de religion entre protestants et catholiques avaient marqué profondément la société française au seizième siècle, l'édit de Nantes et le siège de la Rochelle faisaient partie de l'histoire récente. Et Loudun avait été un bastion de la religion réformée. Richelieu combattait fermement les protestants, mais il était aussi l'artisan de la centralisation qui aboutira à la monarchie absolue de
Louis XIV. Cet aspect politique était encore quelque chose de nouveau, la fronde n'avait pas encore eu lieu, mais les tensions étaient bien là. Et Loudun possédait également un château que Louis XIII voulait faire démolir dans sa grande entreprise de sape du pouvoir aristocratique. Loudun, dans les années 1630, reste donc un symbole de la lutte protestante mais pourrait être aussi un symbole de l'aristocratie provinciale. Et c'est dans cette crise sociale, ce passage du religieux au politique, ces lignes de fronts pas claires, mouvantes, qu'éclate l'affaire des possédées de Loudun.
Il y a donc une perte de confiance inavouée dans les moyens de L'Eglise, une augmentation du doute, qui se caractérise par une transformation du langage, des différents discours. le moment est proche où
Descartes cessera de privilégier le latin et commencera à publier en français. le dilemme des possessionistes - ceux qui accordent du crédit à une possession surnaturelle - est donc de s'accrocher à une ancienne forme de pensée, à un langage qu'ils essayent pourtant de réformer, alors que le mal est plus profond et qu'eux-mêmes doutent trop de ce langage. Ainsi, se forme une artificialité essentielle, un lieu de spectacle, avec son langage, son décor, sa scène, c'est-à-dire un théâtre. Un drame espéré par les possessionistes, qui se révélera davantage être une tragi-comédie, avec les possédées et le sorcier dans le rôle des acteurs, les exorcistes en guise de metteurs en scène, Richelieu comme producteur, et tous les autres spectateurs dont notamment les médecins, les théologiens et autres doctes gens. Peut-être pourrait-on laisser un petit rôle au diable dans tout ça, celui du scénariste.
Un ouvrage qui envisage beaucoup de côtés par lesquels cette possession de Loudun peut être abordée. L'un d'eux est le langage, celui des différents spécialistes, ses évolutions et le caractère aliénant qu'il peut revêtir, la privation de parole aussi. Tout ça se manifestant dans la polémique théologique qu'a suscitée
la possession de Loudun : Peut-on contraindre le diable, le Menteur par excellence, à dire la vérité ? Tous ces propos très intéressants sur le langage n'empêchent pourtant pas Michel de Certeau de tomber dans certains écueils généralistes de la théorie psychanalytique, comme lorsqu'il déduit les principaux traits de caractère d'
Urbain Grandier d'une lettre anodine de sa mère et de sa relation à papa-maman. Comme quoi…
Pour conclure, un peu de poésie.
Michel de Certeau a reproduit dans son livre un sonnet plein de bon sens, écrit par
Du Bellay quatre-vingts ans avant l'affaire des possédées de Loudun et adressé à son ami Rémi Doulcin, prêtre et médecin :
Doulcin, quand quelquefois je vois ces pauvres filles
Qui ont le diable au corps, ou le semblent avoir,
D'une horrible façon corps et tête mouvoir,
Et faire ce qu'on dit de ces vieilles sibylles ;
Quand je vois les plus forts se retrouver débiles,
Voulant forcer en vain leur forcené pouvoir,
Et quand même j'y vois perdre tout leur savoir
Ceux qui sont en votre art tenus des plus habiles ;
Quand effroyablement écrier je les ois,
Et quand le blanc des yeux renverser je les vois,
Tout le poil me hérisse, et ne sais plus que dire.
Mais quand je vois un moine avecque son Latin
Leur tâter haut et bas le ventre et le tétin
Cette frayeur se passe, et suis contraint de rire.