A la mort de son père, Fleur, la quarantaine, se rend à l'évidence ; impossible de porter à la déchetterie plusieurs décennies de souvenirs constitués de cartes postales, de lettres, de paperasses diverses et variées, les lire est peut-être une violation d'une âme défunte mais les faire disparaître serait pire encore, se dit-elle. Alors, elle s'y attelle, dans la cave de son propre immeuble , là où tout est entreposé.
Remuer la vase, faire ressurgir les souvenirs d'enfance, comprendre un peu mieux son père, sa mère aussi, en espérant ne pas découvrir pire, une révélation de plus qui ajouterait du poids à son existence.
"Ma soeur aînée et moi, nous avons poussé dans la vase, avec un peu de lumière autour", écrit
Florence Chataignier pour décrire l'enfance de Fleur et Nine, les deux filles de Jean et Madeleine. A la fois conscientes, du fait du regard des autres, et inconscientes, par loyauté, des dysfonctionnements du couple de leurs parents, les deux soeurs pressentent très tôt que ça ne va pas, que leur cellule familiale, bien que cherchant à paraître la plus conventionnellement bourgeoise possible, est tout sauf conventionnelle et est en déséquilibre, prête à flancher. Leur père regarde un peu trop les garçons sur la plage, il rit trop fort, se montre en spectacle comme pour se cacher à lui-même et ne pas montrer sa souffrance. Leur mère est mélancolique, fait trop d'efforts pour paraître aller bien. Mais quand on est enfant, on peut pousser coûte que coûte dans la vase, on peut faire semblant comme les parents, même si la vase, ça colle aux chaussures. Mais il faut bien marcher, marcher dans les combines des parents.
Alternent alors la vie de ses parents, leurs fêlures, leur couple et les instants passés dans cette cave humide qui se transforme peu à peu en cocon.Un arbre, même, dans cette cave, prend racine, s'étend peu à peu sur les murs ; d'abord une ligne sombre apparaît suivie par de fines branches, puis surgissent de la mousse, des feuilles ; les branches s'épaississent , s'entremêlent, tel un arbre généalogique compliqué, tortueux, mais beau et luxuriant .
On comprend vite, à la lecture de ce roman fiévreux, hypersensible et intimiste, que
Florence Chataignier est Fleur et qu'elle raconte, comme un besoin, une urgence, ce qu'elle-même a vécu. Mais, "autour, il y avait la lumière", écrit-elle car de cette exploration dans cette cave humide, ont surgi finalement une libération, des pardons, une légèreté, une peau neuve.
"La vérité n'existe pas, il ne reste que la mémoire des sentiments", écrit-elle encore car à quoi bon chercher la vérité, toutes les photographies ou lettres qu'on laisse sont finalement trompeuses et n'expliquent rien d'autre que ce qu'on veut bien montrer de soi.
Premier roman très prometteur à lire. Merci à la maison d'édition le
Cherche Midi et à la Masse Critique Privilégiée de Babelio pour cette découverte.