Dans ce livre court, bel objet paru en 2013 aux éditions
Fata Morgana illustré par des dessins du peintre Jan
Voss,
Eric Chevillard s'insurge contre les évidences de la vie présentées comme des scandales : marcher sur nos deux pieds, avoir le ciel au dessus de nos têtes, devoir se regarder dans le miroir ou passer les portes pour entrer quelque part, ou tout simplement vivre dans un monde où il y a des pierres.
«Pardonnez-moi, mais allons-nous longtemps encore devoir supporter ça, en permanence et partout, la présence des pierres ? Sommes-nous si tendres et friables pour toujours et en tout lieu nous déchirer aux pierres, nous y casser le nez, y léser notre peau fragile et le daim plus sensible encore qui la recouvre ? Car voilà en effet ce que nous sommes pour les pierres : des fontaines de sang prêtes à jaillir, des squelettes en allumettes.»
Dans cette lutte contre l'intolérable prévisibilité de la vie et le carcan de la réalité, contre la médiocrité, on retrouve - grande réjouissance ! - l'attraction irrésistible de l'écriture d'
Eric Chevillard : la puissance du langage, une imagination libérée de toute contrainte, si ce n'est de celle de la logique, et cette fantaisie des enfants capables de tout questionner.
«Et puis qu'est-ce que c'est que cette affectation de pluriel ? Les pantalons ! Combien sont-ils ? En portons-nous plusieurs à la fois ? Ou plutôt faut-il en déduire que chacune des deux jambes est en soi un pantalon ? […] L'homme normalement constitué serait-il en réalité l'unijambiste, porteur d'un seul et unique pantalon ? Et le bipède alors, un hominidé inaccompli, mal dégrossi, non encore tout à fait issu de la condition animale ?»
Habitée de cet énervement et de cette mauvaise foi jouissive qui permettent de tout réinventer, l'écriture d'
Eric Chevillard est libératrice.
Démesurément inventif et incongru, férocement logique, et totalement hilarant : du bonheur chevillardien à l'état pur.
«Le froid est une sensation désagréable. Vous en pensez ce que vous voulez, mais moi je n'y suis pas favorable. Intellectuellement, d'abord, je n'en vois pas la nécessité et, physiquement aussi, je dis non. C'est bien simple, tout mon corps se rétracte avant même d'en éprouver la sensation, à cette seule idée. Ma peau glabre se hérisse comme le poil d'un chat livré aux chiens. Mon sexe se replie, se recroqueville, quasiment s'invagine dans une tentative désespérée de trouver en lui-même la volupté dans ce monde hostile. Chose certaine, il ne se dressera pas, ne se tendra pas, ne pointera nulle direction qui serait encore celle d'un pôle, il ne veut rien avoir à faire avec le froid, ni briser la glace ni fendre du bois pour le feu.»