AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9791030902167
764 pages
Editions Orizons (25/05/2020)
5/5   1 notes
Résumé :
Nafala Weill-Breslau, princesse Waller von Schwartzenberg, née à Prague en 1897, meurt en lieu inconnu, entre 1939 et 1945. Son époux, diplomate, subit le même sort. Leur fils, Nal, né en 1920, part en exil en 1938 et s’éteint septuagénaire. Pauline-Lamballe Violet, leur amie, disparaît à Venise, centenaire, trois ans avant l’amorce du XXIe siècle.

Altière Nafala, écrivain d’envergure, une Lou Andrea Salomé s’il en est, plus romanesque et plus politiq... >Voir plus
Que lire après Prague de leur fenêtreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Rien n'est plus sensationnel qu'une vie littéraire. Aucune vie autre ne peut avoir cette force de nous interroger, ne peut être capable de laisser une telle trace dans notre mémoire que celle de Nafala Weill-Breslau, princesse Waller von Schwartzenberg. Entre l'imaginaire de son talentueux auteur et la réalité d'une histoire économe en bonheur, elle est comme l'auguste cinéaste projetant sur la toile (ici rideau de fenêtre) le film de la grande Histoire, celui du passé, de nos hontes, nos peurs, notre lâcheté, notre abnégation de l'horreur. En exergue, l'amour sous forme d'abandon salutaire.

Ainsi pourrait se définir l'exil intérieur de cette part d'humanité qui, entre amour et haine, va apposer sur notre âme de lecteur un voile de pudeur. Un amour irrigué de maternité et de fuite en avant, de courage face à l'adversité. Clairement, d'ailleurs, il y a une corrélation entre Mère Courage de Bertolt Brecht et "Prague de leur fenêtre", de Daniel Cohen. C'est même peu de l'écrire. Faut-il ouvrir les premières pages pour s'en laisser convaincre. Certes, entre la Mère courage du premier et celle du second, l'opposition est grande : quand l'une se dissout dans les faubourgs infâmes, de champ de bataille en champ de bataille, l'autre évolue dans un écrin de marbre, de champ de volupté en champ de volupté, dans un palais hanté par des écrivains célèbres, des artistes faiseurs d'époque, tout un agglomérat d'âmes exceptionnelles comme tant de salons jouissaient à une époque, pas si lointaine. C'est d'ailleurs l'autre dessein de "Prague de leur fenêtre" : nous faire acteurs de ses destins hors-norme, être au coeur de la matrice littéraire. Car voilà un fait majeur, Daniel Cohen a bel et bien le don de mêler ode à la littérature et passion hors norme. À tel point, les relations sont distillées tel le nectar d'esprit qu'un Proust ne renierait pas. Il y a même une part de veine proustienne sous l'eau froide de la Vltava. Il suffit de tourner les pages comme on fait onduler l'eau bleue-nuit pour y voir les reflets de ces êtres en train de danser, de l'heure de la joie à celle du crépuscule. En somme, un jour-nuit renversé. le jour de la folle insouciance : la nuit comme le crépuscule bien nommé du fascisme. Un simple courant d'air pour certains, un vent lointain de nuits hivernales pour d'autres, que le trop tard va transformer en une tempête mortelle. Avec ses effluves de charnier bientôt dilués dans leur sang, la plupart de ces êtres exceptionnels perdant la vie à mesure que la cohorte de leur insouciance les engloutit dans l'aveuglement. de la volupté donc à l'abandon face à l'adversité. Hormis pour la Princesse Waller von Schwartzenberg, puisqu'à toute époque exceptionnelle êtres exceptionnels, que ce vent soudain inhibe ni le courage ni sa fécondité intellectuelle. C'est d'ailleurs là la force extraordinaire de ce livre. Comment ne pas succomber à cette femme, mère des esprits et d'un fils dont le but semble ne pas en avoir, pour être libre, divagateur à travers son rôle de privilégié, ne se sentant coupable de rien, peut-être même a-t-il tout juste l'idée que le monde extérieur n'existe pas. En effet, Nal, ainsi est-il nommé, goûte le nectar de la liberté comme on ignore la complexité d'être parmi les siens. Incapable de s'apercevoir du ciel qui s'assombrit, ces taches de cendres sur celui de son dernier été à Prague, Nal continue de faire des rencontres hasardeuses, se démunit de sa propre pensée pour s'incarner uniquement dans la chair, le temps de recharger ses rêves. Et encore, ne s'en contente-t-il pas. Lorsqu'il croit en avoir assez pour continuer sa route, il ne se doute pas combien le monstre hitlérien l'agrippe déjà. Contrairement, donc, à sa mère, bientôt princesse des abîmes, effacée comme on gomme une existence, dans le maelstrom funeste d'un 39/45 irréversible, en échange du plus bel amour, celui du sauvetage de son fils, lui-même en fuite de lui-même, sinon du temps qui meurt. Bien entendu, qui dit fils, mère, dit le père. Ce dernier surgissant comme un ressort désincarné, mais nécessaire, la preuve de l'existence du fils. le père toujours dans l'ombre, le dormeur éternel sur les rives de sa propre existence, et dont les mots puissants de Daniel Cohen nous le fait aimer, malgré tout. Une évocation de fantôme qui nous amène d'une façon inéluctable aux ombres humaines du film le Troisième Homme d'Orson Welles, d'après le roman de Graham Greene. Certes Vienne n'est pas Prague, mais il sera aisé de trouver une similitude dans cette atmosphère d'un monde en déliquescence, de perdre son souffle à chaque assaut du malheur sur ses fuyards amputés sinon d'espoir, d'amour.
"Prague de leur fenêtre" est un grand roman. Faut-il se laisser prendre la main pour aborder cette extraordinaire histoire, se jeter dans le flux de ses phrases écrites avec le sang, comme aimanté par le phare d'un monde perdu, à travers les rideaux de la belle Prague, dont l'auteur en a fait sa chrysalide. Pour autant, Daniel Cohen ne vit pas hors de notre époque. Simplement, l'auteur de "Prague de leur fenêtre" a besoin de se nourrir d'une littérature exigeante, ne fait pas du roman pour faire du roman. Il s'offre mortellement à la littérature. Heureusement, si ce sentiment est si puissant, si à travers la princesse, Nal… une grande part de lui erre sur le terril des livres puissants ensevelis sous la médiocrité ambiante, il nous reste des années entières pour qu'il nous propose d'autres oeuvres fascinantes, à l'image de son remarquable "Trésors familiers des rythmes", lequel nous aide à comprendre combien, depuis son enfance, il est un auteur porté par le vent du Sahara, flirte avec allégresse au-dessus des contrées littéraires, s'accomplit dans les rues de Prague, pour enfin faire jaillir son art dans le Paris des mots.
Commenter  J’apprécie          20


Videos de Daniel Cohen (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Daniel Cohen
« Homo numericus » de Daniel Cohen lu par Cyril Romoli et Marie-Eve Dufresne l Livre audio
autres livres classés : princesseVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (2) Voir plus




{* *}