Sous un silence profond et trop long
Dans son introduction, « La difficile défense du « Dreyfus ouvrier »,
Gilles Manceron souligne que tou-te-s celles et ceux qui se mobilisèrent pour le capitaine
Alfred Dreyfus ne furent pas en soutien de Jules Durand, alors que d'autres, dont la Ligue des droits de l'homme,
Jean Jaurès,
Anatole France « ont considéré qu'il s'agissait du même combat ». le préfacier ajoute : « Lorsqu'ils se sont trouvés confrontés à une affaire où la machination judiciaire visait les droits sociaux des ouvriers, l'attachement à la justice de certains d'entre eux a montré ses sérieuses limites »
Il montre aussi les différences dans les évolutions juridiques, dont la grâce présidentielle et la Cour de cassation et insiste sur la difficulté « à faire admettre la défense des droits sociaux comme partie intégrante de celle des droits de l'homme ». J'aurai, quant à moi, écrit « droit des êtres humains ».
Le Havre, fin du XIXème siècle, début du XXème siècle, des journaliers sur le port, les assommoirs, la Ligue des droits de l'homme, les universités populaires développées par les Bourses du travail, le syndicalisme révolutionnaire, la Charte d'Amiens en 1906,
La Vie Ouvrière, les campagnes de la CGT contre « les ravages de l'alcool », les quais et l'embauche, « ils sont embauchés au gré des chefs d'équipes, dits de « bordée », comme journaliers », la misère ouvrière…
Le charbon et les charbonniers. « Mécanisation des campagnes et machinisme des usines, la révolution industrielle s'installe dans les pays qui la mettent en pratique. le charbon va être le combustible principal pour fournir de la vapeur et donc de l'énergie à la navigation, aux locomotives, à un simple outil comme à une machinerie plus complexe, jusqu'aux hauts-fourneaux transformant le fer en acier ». Une révolution industrielle qui « va transformer radicalement les domaines de la vie que sont le labeur quotidien, les mentalités,les cultures ou la vie sociale », le port du Havre et son développement historique…
Roger Colombier insiste sur la place des charbonniers, « une grève des ouvriers charbonniers porte donc obligatoirement préjudice au patronat local comme à celui du port ou des compagnies maritimes ». Il détaille les catégories d'ouvriers travaillant sur le port à cette époque et parle du syndicat des charbonniers et des conditions du syndicalisme, sans oublier le commissaire spécial de la sureté dont la tâche principale, définie par le ministère de l'Intérieur, est de « surveiller les militants du mouvement ouvrier ».
Les ouvriers (y a t'il des ouvrières au port du Havre ?) et la Bourse du travail, la Maison du Peuple, l'imprimerie coopérative, la clinique et le dispensaire pour « les blessés du travail », Clemenceau « premier flic de France », les interventions des forces de police et de l'armée dans les conflits sociaux, la grève des gens de la mer et la Compagnie générale transatlantique, le carnet B, les revendications ouvrières, la presse locale au service du patronat, le syndicat jaune ou les « renards »…
Tous ces premiers chapitres du livre font toucher du doigt la violence des rapports sociaux, la violence patronale et institutionnelle, les difficultés du syndicalisme ouvrier. Les descriptions et analyses de
Roger Colombier construisent un poignant panorama du contexte.
Un rixe mortelle, Louis Dongé chef d'équipe, un revolver, des hommes avinés, des coups, « les hurlements d'un homme à terre et la furie de ses agresseurs », une querelle d'ivrognes qui a mal tournée… le saisissement par la presse locale, l'invention des faits, l'accusation « d'avoir fait voter à mains levées la mort de Dongé au cours d'une réunion syndicale »… La reprise du travail votée par les charbonniers et la motion de leur comité de grève qui se termine par « Ils constatent une fois de plus que la force armée, la police et la magistrature sont mises à disposition du patronat,
Dans un but d'apaisement, décident la reprise du travail et se séparent au cri de « Vive les travailleurs ». »
L'affaire Jules Durand, une instruction à charge, la maison d'arrêt du Havre, le juge d'instruction, le commissaire spécial de sureté révélant « qu'aucun appel à tuer des non-grévistes n'a été lancé dans une réunion du comité de grève », René Coty avocat et son choix d'une défense « apolitique », la partialité de la justice, un élément du contexte : « la grève des cheminots », le parloir, le régime carcéral, le port du « capuchon belge », le procès, le jury représentatif « des idées politiques des notables » et non « du paysage social en Seine-Inférieure », les réquisition et plaidoyer, la condamnation à la guillotine,
Jean Jaurès : « un verdict de haine, un verdict abominable », l'affaire Jules Durand débute…
La riposte syndicale, la CGT, le rejet du pourvoi en cassation, l'absence d'une partie des dreyfusards, une initiative parlementaire, les courriers de Jules Durand, la grâce présidentielle et ses limites, la libération et la folie, l'hospice civil, l'asile départemental, l'asile Sainte-Anne…
« Pourquoi Jules Durand suscite-t-il, encore, plus de cent ans après sa condamnation à mort, des réactions gênées de la part des héritiers des principaux acteurs de cette tragédie, au premier rang desquels on retrouve la justice, bien sûr, mais aussi la French Line et la presse locale ? »
Les récentes condamnations de salarié-e-s, les attaques contre le Code du travail, le traitement subi par Jacqueline Sauvage montrent la continuité et l'actualité de la défense inconditionnelle de tous les droits des salarié-e-s, de tous les droits des citoyen-ne-s, la partialité des juges et de l'appareil judiciaire et la veulerie de politiques plus attachés à un certain ordre social qu'aux droits des salarié-e-s, des femmes, des citoyen-ne-s…
Un livre à diffuser largement pour faire connaître Jules Durand, l'injustice de la justice des possédants, et l'actualité de l'inclusion, sans condition, de l'ensemble des droits dits sociaux dans les droits des êtres humains.
Voir le site : http://www.julesdurand.fr
Lien :
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