Un grand merci à Babelio dans le cadre de sa Masse Critique et aux Éditions Albin Michel...
Contre la peur et cent autres propos : je dois tout d'abord vous avouer que la lecture de ce livre a été pour moi un véritable enchantement. Ensuite je me suis demandé comment je pourrais vous en parler. Pas facile, je vous avoue.
Son auteur, André Comte-Sponville y rassemble une centaine de chroniques, qu'on appelle aussi « propos », au sens que le philosophe Alain donnait à ce mot, c'est-à-dire des articles de presse que l'auteur a tout d'abord publié entre 2007 et 2018 dans des magazines comme Challenges ou le Monde des Religions. C'est en quelque sorte le concept de journalisme philosophique qui est ici remis au goût du jour. L'auteur reprend le procédé qu'il avait déjà utilisé dans un précédent livre intitulé « le goût de vivre et cent autres propos ».
Ces articles ont été guidés au moment de leur écriture par l'actualité ; par contre pour l'ouvrage dont je vous parle, l'auteur a choisi de ne retenir que ceux qui ont le mieux résisté à l'épreuve du temps. Et c'est vrai que l'une des premières sensations que j'ai ressentie à leur lecture, est que les thèmes soulevés par cette pensée philosophique n'ont pas pris une ride, demeurent intemporels.
Tout comme Alain, André Comte-Sponville est aussi un philosophe. Un philosophe n'est pas neutre, il pose une empreinte personnelle, subjective sur sa pensée, dans ce qu'il dit et écrit. Ici, André Comte-Sponville le fait à sa manière, c'est-à-dire celle d'un homme clairement ancré dans l'athéisme, la laïcité - ce sont des valeurs fortes qui l'animent -, et en même temps il est fortement respectueux de la figure de Jésus-Christ et de son parcours.
« La foi est une histoire d'amour. Allez convaincre un amoureux de ne plus l'être ! C'est aussi impossible que de le convaincre de l'être encore, lorsqu'il ne le sera plus ».
Il exprime aussi d'autres valeurs qui ne sont d'ailleurs pas contradictoires avec celles citées auparavant, la recherche du bonheur ou de la sagesse par exemple.
« Prier, au sens ordinaire du terme, c'est mettre des mots sur son désir ».
André Comte-Sponville écrit sur les riches, les inégalités, la politique et la morale, l'école, le droit au logement, l'identité nationale, l'Europe, la mort... D'autres sujets s'invitent sur cette décennie particulière : l'islam et l'islamisme, le voile, les manifestations nuit debout, le droit de mourir, le populisme, le cannabis... Pour d'autres, je ne sais pas où les situer. J'ai l'impression qu'ils ont pris racine au cours de ces dernières années et pour autant je sens bien qu'ils portent désormais en eux le germe d'une intemporalité : le fondamentalisme, par exemple et qui ramène à une chronique que le philosophe a écrit et publié en janvier 2015 dans le Monde des Religions, juste après l'attentat de Charlie Hebdo. Chacun d'entre nous est capable de situer l'endroit où il était et ce qu'il faisait le 7 janvier 2015. Je me souviens que j'étais à Kiev et que je fêtais le Noël orthodoxe. Ce souvenir restera marqué dans nos mémoires. Dès lors, des opinions se sont exprimées de manière très fortes, parfois contradictoires et violentes. Il est intéressant d'entendre la voix d'un philosophe sur ce sujet, non pas comme celle d'un sauveur ni d'un thérapeute, mais comme celle de quelqu'un qui sait poser les bonnes questions. À ce titre, le texte portant sur le fondamentalisme, mais aussi les deux autres chroniques qui suivent un peu plus loin : « Écrasons l'infâme ! » et « Pour que vive la République ! », m'ont totalement happé et je dirai même qu'ils m'ont fait du bien.
« Après l'horreur et le chagrin, quoi ? La volonté renforcée de continuer ce combat-là, qui fut celui des morts que nous pleurons, et qui est le nôtre. Être fidèle à Charlie, c'est le mener dans la joie et l'humour, plutôt que dans la tristesse et dans la haine. Ces salauds d'assassins ne nous empêcheront pas d'aimer la vie, la liberté, le rire. le blasphème fait partie des droits de l'homme. L'humour, des vertus du citoyen ».
C'est peut-être sa manière à lui de chercher un peu de sens dans tout cela, dans tout ce qui nous paraît bruyant, terrifiant ou bien parfois insignifiant. En tous cas, ce matériau qu'est l'actualité est riche pour André Comte-Sponville. Il l'aborde avec beaucoup d'humilité et tente d'y poser un regard décalé en apportant son point de vue, ses questions, mais aussi d'autres itinéraires possibles à partir de ses mots. Il nous invite avec lui à ramener les idées que suscitent toutes ces questions où nous voudrions que notre chère République prenne position, à la sphère de l'individu, leur seule place selon lui. « La République, parce qu'elle est laïque, n'a pas de philosophie. C'est aux républicains d'en avoir une ».
Loin des croyances et des opinions toutes faites, il démonte celles-ci avec beaucoup de jubilation et d'ironie, et parfois on le sent, avec un peu d'agacement. « le rôle d'un instituteur est d'enseigner ce qu'il sait, non d'imposer ce qu'il croit ».
L'actualité nous paraît parfois banale, énervante, effrayante aussi. Et puis parfois elle s'accélère, prend de l'épaisseur, c'est peut-être une forme d'histoire déjà en mouvement. le philosophe retient ce mouvement, l'accroche à l'éternité et tente de lui donner du sens en lui posant des questions.
Pourtant le monde change, le monde est de plus en plus changeant. le flux d'informations dans lequel nous vivons donne à l'actualité un caractère immédiat, éphémère, parfois dérisoire.
J'aimerais d'ailleurs un jour revenir à ces textes dans dix ans, dans vingt ans. Auront-ils conservé de manière intacte leur sentiment intemporel, leur sagesse aussi ?
Dans ce livre, j'ai découvert la pensée philosophique d'un homme qui aime la vie. « la joie d'aimer, même douloureuse, vaut mieux que l'indifférence ». Il me donne des clefs pour m'éclairer, m'aider à faire un pas de côté pour découvrir un sens caché dans cette actualité qui se déroule sous nos yeux. Je ne cherche pas à coller à sa pensée, je ne cherche pas des réponses toutes faites et ce n'est pas la volonté de l'auteur de le proposer à ses lecteurs. Celui-ci au contraire nous aide à mieux réfléchir, peut-être nous aider à mieux poser nos propres questions. C'est à nous de poursuivre le chemin. Souvent je suis d'accord avec lui, parfois je ne le suis pas, mais ce n'est pas important. Ainsi connaissant ses positions laïques que je partage, je l'attendais au tournant sur le sujet du voile islamique pour lequel j'ai une position plus intolérante que lui. « La burqa ? Ce n'est pas une faute contre la laïcité, mais une atteinte à la dignité des femmes et à une certain conception des rapports humains ».
Alors, il ne faut pas prendre tout ce que dit André Comte-Sponville pour argent comptant. Je pense que rien ne lui ferait davantage plaisir que de confronter notre point de vue contradictoire à celui de ses propos.
De temps en temps, il convoque d'autres philosophes qui sont ses maîtres à penser, non pas pour imposer un dogme mais pour apporter un éclairage. Aristote, Pascal, Montaigne, Spinoza, Auguste Compte, Simone Weil ou bien Benjamin Constant...
Leurs références viennent nous éclairer comme des fanaux, comme des feux dressés dans le sillon de la piste d'atterrissage d'un avion qui chercherait son chemin en pleine nuit.
De temps en temps aussi, il s'éloigne de l'actualité comme pour prendre des vacances, une pause loin du fracas du monde. Il nous parle alors de la correspondance entre Georges Sand et Gustave Flaubert et c'est délicieux. « Il y a quelque chose de plus important que la littérature, qui est la vie elle-même, et l'amour de la vie, et l'amour des vivants. La littérature n'a jamais sauvé personne. Les plus grands écrivains le savent, et c'est ce qui les sauve ».
Voilà ! C'est frais, c'est stimulant, c'est revigorant, c'est une écriture « à sauts et à gambades » comme écrirait volontiers Montaigne, et nous, nous passons d'un texte à l'autre en sautillant, comme sur les pierres d'un ruisseau, avec grâce et légèreté et les gestes enfin emplis de lumière.
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