I l est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ; c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant ou à un vieillard infirme sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs, c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse , inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle, bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible.
Jean-Jacques Rousseau
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