Elle avait toujours plein d’idées et écrivait vite, tandis que lui ciselait chaque paragraphe d’un coup de sa baguette magique. Ils se complétaient parfaitement et chacun s’était si bien habitué aux méthodes de l’autre qu’ils étaient capables, juste en écoutant la cadence du clavier, de savoir si le moment était bien choisi de poser une question. Elle poussa un soupir, impatiente de reprendre sa vie avec lui, mais il était exclu pour elle de repartir avant d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour identifier l’assassin de Lily.
Derrière ses lunettes noires, Kate examinait les visages, se demandant si celui de l’assassin se cachait parmi eux. Certains lui étaient parfaitement étrangers ; d’autres étaient ceux d’amis de longue date, aujourd’hui perdus de vue. Ses yeux se posèrent sur un homme de haute taille et une femme menue aux cheveux blancs. La douleur la traversa, comme si une main invisible lui comprimait le cœur. Les parents de Jake, les traits figés, le regard fixé devant eux. Elle ne leur avait pas parlé depuis les funérailles de leur fils, la pire journée de sa vie – enfin, jusqu’à cette semaine. Elle serra les poings, refusant de renouer avec ce chagrin empreint de culpabilité. Elle aurait tant voulu se confier à Jake et pleurer sur son épaule, blottie contre lui.
D’aussi loin qu’elle pût s’en souvenir, elle avait toujours écrit. Des nouvelles, des poèmes, des romans courts. Quelles que soient les circonstances de sa vie personnelle, elle pouvait s’échapper à loisir dans les mondes créés par son imagination. Blaire adorait être aux commandes de l’intrigue et avoir un droit de vie ou de mort sur les personnages. Elle était en cinquième quand elle avait choisi de devenir écrivaine. La bibliothécaire de l’école l’avait aidée à trouver un concours d’écriture, et elle avait lu les instructions dans le bus qui la ramenait chez elle, impatiente de demander à son père de leur envoyer son œuvre.
Kate était convaincue qu’ils pourraient être heureux ensemble. Simon lui permettrait d’oublier ce qu’elle avait perdu. Tous deux se bâtiraient une belle vie, et leurs différences viendraient se compléter. De toute façon, épouser une personne qui vous ressemblait trop risquait de devenir vite ennuyeux. Ses parents avaient d’abord été d’avis que leurs fiançailles étaient trop rapides, puisque cela faisait moins d’un an qu’ils se fréquentaient et qu’il lui restait encore quatre années de fac de médecine à Johns Hopkins. Mais ils avaient fini par la soutenir, probablement soulagés de la voir de nouveau heureuse.
Quand ses parents sortaient, elle ne pouvait fermer l’œil tant qu’elle ne les avait pas entendus rentrer. Elle imaginait qu’ils se tuaient dans un accident de la route ou qu’ils se faisaient attaquer par des voyous. Alors elle se tournait et se retournait dans son lit, essayant désespérément de mettre fin aux horribles scénarios qu’elle échafaudait dans sa tête… jusqu’à leur retour. À ce moment-là, elle se sentait ridicule – jusqu’à la fois d’après.Même quand rien ne se produisait, elle avait toujours l’impression d’être en sursis, passant des heures tout éveillée, à imaginer le pire.