Ceux qui restent a été publié en 2019 et est réédité cette année, enrichi d'une postface.
Il y a surement toujours, quand on voit un livre qui parle de "notre" région, une envie de s'y retrouver, de voir valider des hypothèses qu'on a pu émettre, de se dire : "oh, mais c'est tellement ça !!!" et d'en apprendre sur les mécanismes à l'oeuvre dans notre territoire, les enjeux qui ont des conséquences concrètes sur notre vie et celle de nos proches.
J'ai donc été (et c'est sans doute naturel) plus marqué par les passages qui décrivaient des parcours similaires au mien.
L'auteur a cette particularité, sur laquelle il revient longuement dans la postface, d'être originaire du milieu qu'il étudie.
De cette position découle ce qui m'a semblé être l'écueil de ce livre : j'avais constamment l'impression qu'il marchait sur des oeufs, qu'il n'osait pas aller au bout de l'analyse et surtout, qu'il n'osait pas tirer de conclusions ou prendre de la hauteur par rapport à la description des faits. Peut-être que c'est aussi quelque chose que les chercheurs contemporains ne font pas par prudence et aussi par souci de "rigueur scientifique" ou d'objectivité, mais il n'en reste pas moins que j'ai eu l'impression qu'on "restait en surface" et que le lecteur devait lui-même rassembler toutes les informations et se faire sa propre opinion. Ce n'est pas un mal en soi non plus mais n'est pas sociologue ou anthropologue qui veut et on se retrouve donc à la fin un peu désemparé face à toutes ces informations
On a un premier chapitre sur le mouvement des gilets jaunes et ces enjeux à hauteur d'homme, qui est intéressant :
Benoît Coquard s'y attarde moins sur les enjeux politiques et économiques que sur les enjeux humains du mouvement, ce qui s'y jouait en termes relationnel et social.
Le deuxième chapitre est génial :
Benoît Coquard évoque l'influence qu'ont encore aujourd'hui les Trente Glorieuses et plus particulièrement le souvenir qu'en ont les adultes et les seniors - le "temps des bals", sur les jeunes générations, leur vision du monde, leurs aspirations et leurs déceptions.
Seul le dernier chapitre est consacré aux conclusions politiques de cette étude et sur la politisation des individus interrogés et observés par l'auteur.
Entre les cent premières pages à peu près, et ce dernier chapitre, sont analysées leurs interactions sociales et c'est là que l'auteur m'a perdu : je pense tout simplement que cela m'intéressait moins.
Différents types de personnes y sont décrits, des plus « paumés » et précaires, que ce soit d'un point de vue économique comme d'un point de vue social, à ceux qui rencontrent le plus de succès, qui "s'en sortent" le mieux.
Ces espaces ruraux sont marqués par la désindustrialisation, la précarité du secteur primaire ainsi que par un exode rural quasi semblable à celui des Trente Glorieuses, une sorte de fuite des cerveaux. À cela s'ajoute un délaissement de la part des pouvoirs publics et leurs services.
Benoît Coquard met en garde, à plusieurs reprises et à juste titre, contre les représentations quasi-exotiques que l'on peut avoir de ces espaces et de leurs habitants, il cite plusieurs travaux universitaires et dénonce la récupération politique de ce que vivent ces populations à diverses fins.
Il nous rappelle quatre choses importantes : dans ces territoires, la démographie a une influence directe sur les trajectoires individuelles. La réputation a une importance capitale et le travail y étant rare, les gens qui ont des compétences similaires vont avoir tendance à se battre pour un poste, au risque d'y perdre des relations amicales : « […] c'est bien pour des raisons économiques vitales, plutôt que pour des différences culturelles, qu'on lutte et qu'on se divise aujourd'hui dans les classes populaires rurales. » (p. 21)
Par ailleurs, une économie parallèle, le travail « au black », s'y développe notamment autour de la construction et de la rénovation, dans le domaine du bâtiment. Des groupes d'amis ou des gens de la même famille, ouvriers de petites entreprises aux patrons conciliants, gagnent leur vie en effectuant des travaux et comptent sur le bouche à oreille pour faire fleurir leur entreprise auprès de nouveaux clients.
On y apprend que le travail transfrontalier, qu'il s'agisse du Luxembourg au nord, de l'Allemagne à l'est ou ici de la Suisse, est un véritable phénomène d'ampleur dans ces régions et qui a là aussi un impact conséquent sur les trajectoires des individus qui ne sont pas partis faire des études dans les grandes villes métropolitaines.
On y apprend que, malgré la disparition des bals, des bistrots et des associations (à l'exception des clubs de foot, qui maintiennent quant à eux une activité dynamique et structurante), qui semblait annoncer le désagrégement des réseaux sociaux, de nouvelles modalités de fréquentations sont apparues, avec tout ce qu'elles impliquent. Ces jeunes trainent « entre potes », il faut réussir à intégrer une bande pour qu'ensuite les diverses rencontres aient lieu en grande majorité dans les maisons des uns et des autres.
Benoît Coquard s'attarde longuement sur la place et le rôle des femmes dans ces sociabilités principalement centrées autour d'activités et d'intérêts plutôt masculins (l'alcool, la chasse, la pêche, le foot, le billard et les jeux d'argent, etc.) C'est là que j'ai décroché, il nous raconte des soirées, les interactions entre les gens, qu'ils soient amis ou non, l'intégration des nouveaux et l'exclusion voulue ou forcée des autres, ce qu'ils font de leurs soirées ... Je comprends que cela puisse être intéressant si l'on n'y est étranger mais je n'ai pas accroché, peut-être aussi parce que je ""connais"" des gens qui font ces choses-là et qui fonctionnent comme les "bandes de potes" décrites ici.
La postface est intéressante : l'auteur revient sur sa méthodologie, sa position dans l'enquête (qui m'a semblé quelque peu problématique mais elle donne ici lieu à des considérations davantage techniques - comment se positionner en tant que sociologues parmi ses anciens amis d'enfance ?, voire "morales" - comment parler de ces gens que l'on connait et avec qui l'on a grandit avec le regard "froid" et objectif du sociologue ?) et surtout sur les retours qu'il a pu avoir depuis sa publication.