La pièce est écrite en 1950, époque où les présidents de facto (en opposition au président élu) se succèdent en Argentine. Mais une nouvelle ère naît : pour la première fois, un président prône le partage des richesses et une reconnaissance du peuple. C'est dans ce contexte que
Julio Cortázar écrit Rien pour Pehuajo, miroir d'une société qui oppose, dans une étrange partie d'échecs, une jeunesse pour qui la révolte est encore possible, à plusieurs représentants de la société, tenants de l'ordre établi. L'action se situe dans un restaurant au cours d'un déjeuner. Jouant avec l'absurde,
Cortázar dénonce les règles du jeu de la société de façon burlesque. L'absorption ou non d'une glace à la vanille et au chocolat par le juge va devenir un enjeu capital, une question de principe, le juge ne devant pas manger le jour où un condamné vient d'être décapité...
La force de
Cortázar est de créer un univers singulier, en humour et en décalage, avec un regard porté sur le monde drôle et contestataire à la fois. L'auteur utilise des figures et non des personnages psychologiques, afin de faire ressortir la caricature de leur identité. L'actualité dans laquelle elle nous transporte donne à cette pièce tout son intérêt. Contemporaine, elle traite sans lourdeur ni jugement du système actuel dans lequel nous vivons. Une lutte permanente contre un pouvoir oppressant, en perpétuel conflit. Mais la partie d'échecs fait basculer la lutte dans un jeu. La pièce devient alors ludique et amusante.
Différentes strates de lecture sont possibles. L'humour et la dérision restent les maîtres-mots dans cette atmosphère loufoque où tout peut basculer à chaque seconde dans un univers parallèle. Une langue acérée et un humour noir font de cette oeuvre un outil formidable et une pièce de théâtre truculente.
• Pièce radiophonique, “Adieu Robinson” date de 1977 et fonctionne comme une suite du roman de
Daniel Defoe. Robinson et son domestique Vendredi arrivent de Londres en avion à l'île Juan Fernandez où ils se sont connus jadis. Mais l'île a changé ; elle n'est plus sauvage ni déserte. Décolonisée elle compte maintenant plus de deux millions d'habitants et un gratte-ciel de bureaux a poussé là où Robinson avait bâti sa cabane... Peut-être par ressentiment envers l'ancienne métropole, les autorités ne tiennent pas à ce que Robinson ait des contacts avec la population locale, Vendredi en revanche est tout de suite devenu le bon copain du chauffeur Banane... À la fin du séjour, Vendredi parle désormais familièrement à Robinson et le qualifie d' « européen vétuste ». L'auteur avait alors contracté une passion de combattant pour l'Amérique latine, comme le prouve aussi “Le
Livre de Manuel”, et corrigé le texte de “Rien pour Pehuajó” de manière à faire dire à un personnage qu'il avait la sale tête de Pinochet !