Je reprends cette critique suite à des propos peu amènes de 4 amis sincères et lecteurs s'étant procuré cet ouvrage suite à ma première lecture/critique louangeuse. Ils m'ont fait savoir qu'ils ne retrouvaient rien de mes propos dans ce livre. J'ai donc choisi de le parcourir de nouveau avec plus de distance. Il n'est pas rare qu'une relecture modifie les perceptions par ailleurs : https://www.babelio.com/mescritiques.php?pageN=0&tri=app&pageN=2 avec la critique de Mastodonia par exemple. Voici donc le fruit d'une lecture plus neutre.
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Ce livre est construit sur le concept du roman-coach à savoir qu'il y a d'abord une partie roman (ici 267 pages) destinée à illustrer le thème traité (ici le lâcher-prise) puis une partie plus théorique destinée à proposer des outils aux lecteurs. Ici cette partie, de 50 pages environ cherche à donner « les 6 clés du lâcher-prise ».
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Afin d'illustrer cette notion nous avons un trio d'amies d'environ 35 ans. Juliette, l' « héroïne », dépend de l'injonction « être forte » et se trouve dépassée lorsqu'elle doit à la fois gérer l'Alzheimer de sa mère, une relation amoureuse impliquante et la révélation du fait que son père n'est pas l'homme attendu mais un inconnu vivant à Tahiti. Liz, dépendant de l'injonction « sois parfaite » est submergée par le travail et en burn-out et Carole (« Fais plaisir ») apprend l'infidélité de son mari. Toutes 3 vont partir à Tahiti et se trouver en pension chez un couple d'homosexuels qui vont leur apprendre la pêche à la ligne… non, suivez un peu : les clés du lâcher-prise.
Comme dans tout roman « feel-good » la fin, après de très nombreux retournements de situation, sera très positive et heureuse, même si quelques drames viseront à éviter l'effet trop sucré. Je n'en dévoilerai pas plus sur l'histoire afin de ne pas pénaliser qui s'y risquera.
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Je me suis franchement ennuyé lors de la reprise de cet ouvrage, tout en repensant aux propos de lecteurs dont j'apprécie l'acuité.
- Si, contrairement à l'un d'entre eux, je n'irais pas jusqu'à dire que les personnages ont des soucis et une approche de la vie de collégiens, il est difficile pour autant de considérer qu'il s'agit d'adultes au sens plein du mot. À partir de là il est très malaisé d'adhérer aux problématiques tant ces personnes semblent immatures et souvent naïves (pour rester gentil). le regard qu'elles portent sur le monde est largement dénué de la plus élémentaire éthique/responsabilité mais surtout très pauvre et souvent infantile. Pour autant ce n'est pas ce qui est le plus dérangeant à mes yeux. Ce qui est le plus troublant est que ces personnes « sonnent faux », d'une certaine façon elles font penser à un arbre dessiné par un jeune enfant, sans racines, ou à des couleurs décrites par un daltonien. Ici ces personnes semblent ne pas avoir de vie intérieure réelle et être tout aussi incapables d'aimer autrui pour ce qu'il est. Ne parvenant pas à être elles se réfugient dans le faire et dans le paraître mais leurs comportements semblent parfois totalement faux, comme si une articulation prenait une position impossible. À partir de là comment se sentir quelque chose de commun avec qui semble si peu crédible en tant qu'être humain à part entière ? Ce souci pour donner vie à des êtres réalistes et profonds me semble le plus fondamental de tous.
- le second point est que l'auteur multiplie les cartes postales de Tahiti et les rebondissements pour tenter de masquer le manque de densité/crédibilité des différents protagonistes. Chacun semble défini par quelques caractéristiques sommaires et, comme il faut « remplir » il « leur arrive diverses choses ». À contrario d'écrivains de premier plan qui réussissent en quelques mots et peu d'actions à donner une incroyable vie à des êtres qui ensuite nous accompagnent toute notre existence (Je pense à Montag, à Lennie, à Humbert Humbert, à Winston Smith et à tant et tant d'autres) ici j'avais déjà oublié les prénoms des « héroïnes » en quelques semaines. L'absence de consistance/réalisme/intérêt des principaux protagonistes amène donc à multiplier les décors et autres coups de théâtre mais en vain, l'ennui survient très vite.
- le troisième porte sur le style, très « chick-lit » qui peut plaire mais aussi déranger. Je laisse chacun se faire son avis :
« – Aaaaaaaah OK. Oui, c'est vrai qu'on est censé se tutoyer. Désolée, je ne m'y suis pas encore habituée.
– Ce n'est pas grave. Tu vas bien ? Tu as l'air… fatiguée.
– Oui, et je crois que c'est un euphémisme ! Je suis épuisée, effectivement. J'ai pas mal de choses en tête qui… m'empêchent de dormir.
– Ah bon ? Tu n'es pas venue ici pour te libérer de toutes ces choses et de ces voix dans ta tête justement ?
– Ces voix ? dis-je, un peu surprise.
– Oui, ces voix. Ou plutôt cette voix. Cette petite voix intérieure, celle qui te dit toujours que « tu devrais faire ci, tu ne devrais pas faire ça, tu aurais dû dire ça »… Notre conscience quoi.
– Ah, OK, tu me rassures. J'ai cru que tu me prenais pour une schizophrène…
Ma blague tombe à l'eau. Je cache mon embarras comme je peux. Jo m'intimide un peu, ce qui n'est pas courant pour moi. Mais il semble vraiment… minéral. Je ne vois pas d'autres mots. Pas froid, attention. Mais solide comme un roc plutôt. Et serein. Profond même. Je ne sais pas pourquoi. Il ne sourit pas énormément et n'est pas jovial comme peut l'être Denis, mais il dégage une sorte de magnétisme étrange.
– Et donc euh… tu vas bien ?
– Ça va. Merci.
– Et… tu viens souvent… méditer par ici ?
– Chaque jour, depuis neuf ans environ.
– Ah oui, en effet. C'est donc une… habitude…
– Oui. On peut dire ça. Super. Bon. #GrandMomentDeSolitude. Que dire ensuite ? Alors que je suis en train de réfléchir très intensément à la prochaine platitude que je compte asséner à mon interlocuteur, j'ai la curieuse impression que mon cerveau est aussi productif qu'un hamster obèse qui court dans une roue. »
Cette façon d'écrire, si elle veut « animer », m'a semblé très pesante et répétitive au final (avec ici et entre autre une orgie de points de suspension et d'interrogation par exemple). C'est aussi le sens des retours que j'ai eu suite à ma première critique de cet ouvrage. Il est déconseillé de lire ce livre après un auteur classique voire confirmé tant la comparaison peut sembler cruelle.
- le quatrième point est que l'ensemble, malgré les efforts de
Marie-Laure Cuzacq, reste très attendu, très prévisible. La trame générale est apparente et la « commande » par trop évidente pour qu'il soit possible d'adhérer au roman. Les ficelles sont trop grosses, ce qui est peut-être attendu partiellement cela dit pour ce type d'ouvrage… mais que nous sommes loin de la littérature là encore !
- La partie coaching accumule les banalités et il est difficile de déterminer le public visé tant ces exercices vont sembler transparents à tout adulte qui réfléchit un tant soit peu. Plus dérangeant : elle n'apporte vraiment rien contrairement à des ouvrages comme celui-ci par exemple : https://www.babelio.com/livres/Kondo-La-magie-du-rangement-illustree/1031384 . C'est la différence entre un savoir construit patiemment et une rapide compilation de documents.
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Pour conclure, si je souhaite méditer sur ce sujet je prendrai un autre support. Sinon, si je veux en rester à une philosophie sommaire disant qu' « il faut tenir compte de ses émotions », « accepter ses limites », « se focaliser sur l'instant présent » et « rester lucides et bienveillants » (les conclusions « analytiques » offertes au final ici), je pense que je vais plutôt revoir la guerre des étoiles et me défier du côté obscur de la Force. Je n'apprendrai rien de moins mais ce sera notablement mieux construit et infiniment plus amusant. « Je suis ton père Luke ! » et les éclairs et le sifflement si caractéristique des sabres lasers ! Oui, ce sera rafraîchissant et… mérité ! Tam, tam, ta-ta-ta-ta-tam, ta-ta-ta-ta-tam, ta-ta-ta-ta !!
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Au final cette relecture m'amène à présenter mes regrets à qui a tenté de lire ce livre suite à mes conseils. Pour autant je ne vais pas « incendier » cet ouvrage. Il faut parfois le T de temps pour passer d'écrit vain à écrivain et il n'est pas facile de débuter dans cet art complexe. L'effort est ici évident même si le résultat m'a semblé insipide. L'auteur devrait progresser au fil des années et des vécus, je le lui souhaite.