Tout est bon pour faire du pognon est la morale cynique généralement admise lorsque l'on constate les pratiques des publicitaires, et si vous en doutez,
Didier Daeninckx vous en convaincra dans cette rétrospective, où il rappelle le formidable prétexte que fut la première guerre mondiale pour permettre à la publicité de se développer, en invoquant des motifs patriotiques et anti-boches, dans l'air du temps au cours de la première décennie du XXème siècle et les suivantes.
Pour lier entre elles toutes les reproductions qui illustrent cet ouvrage,
Didier Daeninckx crée une jeune sténo-dactylo embauchée par l'agence Siècle Publicité pour trouver des slogans destinés à frapper les esprits, à transformer le spectacle du quotidien en puissance de vente, à hameçonner le curieux et en faire un acheteur.
La cible visée, expression consacrée toujours d'actualité des publicitaires, est le poilu et tous ceux qui attendent son retour. Question cibles, les poilus ont pourtant déjà fort à faire dans les tranchées mais ce n'est pas suffisant. On leur propose le merveilleux radiateur Tito Landi, brasero portatif qui leur assure la chaleur d'un foyer, des masques prêts à l'emploi pour protéger leur bouche et nez contre les gaz asphyxiants, ainsi que des tampons d'oreilles Mallock Armstrong contre le bruit du canon. S'ils ont un peu mal au crâne, on se demande bien pourquoi, l'Aspirine Usines du Rhône est garantie pure de tout mélange allemand, et pour se protéger des intempéries, les Burberry sont distribués dans toutes les villes situées derrière les lignes de combat. le Jubol nettoie l'intestin « de même que le poilu chasse les Boches des boyaux », et l'apéritif Calista promet la victoire dès qu'on le boit ; le porte-plume Waterman, transformé en arme de paix, permet au soldat de communiquer.
Dans ce monde de marques connues se glissent tous les margoulins, ceux qui fabriquent des conserves à base de déchets, matières en décomposition, cartilages et tissus glandulaires. Pas un jour ne passe sans que les tribunaux ne détaillent ce que l'on trouve dans les plats préparés envoyés aux combattants, chaque jour, les journaux relaient des cas d'intoxications alimentaires.
A la fin de la guerre, la sténo-dactylo de l'agence Siècle publicité se demande si après avoir vendu la guerre, elle sera capable de vendre la paix. Sans doute. A peine l'armistice signé, éclot une génération de vendeurs de chaussures orthopédiques pour mutilations, raccourcissements et toutes déformations, qui promettent une vente à l'unité, assurent ainsi 50 % d'économies par rapport à une paire ; les officines proposant des souvenirs mortuaires se multiplient, comme celles qui ont inventé des voitures de promenades pour blessés. La liste est infinie...
Ce catalogue cruel et cynique dressé par
Didier Daeninckx pourrait prêter à rire, si le sujet n'était pas aussi grave, si une génération de jeunes hommes n'avait pas été sacrifiée au nom de la der des Ders qui ne faisait qu'annoncer la suivante.