- Vous trouvez ce genre d’activité commerciale digne d’un peintre ?
- Du temps de la Renaissance, ce fut toujours le cas. Léonard de Vinci faisait du jardinage. Il a dessiné les jarretières pour les Suisses de la garde papale. Il a dessiné une foule d’objets quotidiens. Moi, mes amis se sont tous révoltés lorsqu’il y a vingt-cinq ans, j’ai dessiné des cravates et des tapis. On a crié au scandale. On a dit : « Dali se prostitue à dessiner des cravates. » Je pense qu’ils étaient jaloux tout simplement de n’avoir pas fait l’objet des mêmes offres. Dix ans plus tard Joan Miro, Picasso et consorts se sont mis à leur tour à dessiner des moquettes, des nappes, des assiettes et mille objets moins nobles.
Lorsqu’il publie son texte sur la paranoïa critique, il marque, au début des années trente, sa différence. Les autres peintres du mouvement peignaient des images oniriques mais arrêtées : un film interrompu, en somme. Salvador Dali, avec une tout autre mentalité, s’inspirant d’Arcimboldo, suggérait derrière toute image le profil d’une seconde image, qui n’avait aucun rapport avec la première. Un être humain se transformait ainsi en colline par exemple. … Faire voir la métamorphose de l’objet, de l’homme et de la matière n’est pas un mince mérite.
Plus mes ennemis sont sots, et plus je m’efforce de les combler d’honneurs terrestres. Un maximum de noblesse pour les salauds !
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Je tiens à me conduire avec beaucoup de déférence envers mes ennemis. D’ailleurs, plus Le Corbusier est mort et plus je suis vivant !
SD. Dali n’éprouve jamais aucune émotion devant une œuvre d’art.
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Mon émotion… Je ne sais pas ce que cela peut bien signifier. Je ne suis ému par rien, même dans la vie. Je ne suis pas même ému par ma propre vie amoureuse.
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Par exemple, si je prends un verre au Café de Paris et que passe une fanfare militaire avec des drapeaux, soudain j’éprouve une espèce de petit frisson –l’émotion dont vous parlez- qui me fait dégringoler au niveau de tout le monde.
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Les effets physiologies ne sont pas des valeurs en soi.
SD - On va enfin pouvoir obtenir la troisième dimension, produite par des machines qui nous procureront des images sorties de la toile ou, au contraire, donnant l’impression de s’y plonger profondément.
Après Vélasquez et Vermeer, on a cru ne pas pouvoir progresser davantage dans l’illusion spatiale. On avait atteint le maximum. Aujourd’hui, nous pouvons réellement faire surgir dans l’espace des images qui ne s’y trouvent pas. Ce procédé redonnera aux peintres le goût de peindre de nouveau la réalité objective….
Poésie - Une graine voyageait - Alain BOSQUET