Illustrations : Elisabeth Ivanovsky
Editions : Casterman 1977
ISBN : Inconnu pour l'exemplaire présenté
Je l'ai relue avant-hier et c'est peut-être, toutes réflexions faites, la "Lettre de Mon Moulin" que je préfère. Pourquoi ? Bien difficile à expliquer . Essayons tout de même ... ;o)
D'abord, il y a ce brave curé comme on n'en fait plus - qui permet entre parenthèses à Daudet de préparer à sa nouvelle la "chute" qu'elle mérite - un prêtre tout simple qui reçoit, dans sa jolie cuisine, l'écrivain en personne et lui fait goûter une liqueur fabriquée par les Prémontrés du coin - autrement dit, les Pères-Blancs. C'est une espèce de bénédictine ou de chartreuse, faite à base de simples, bien entendu, mais, si l'on en absorbe un peu trop ... C'est comme tout alcool, voyez-vous . ¨Mais le plus intéressant, c'est qu'une histoire, des plus amusantes et qu'on aime à se raconter entre gens du pays, et encore plus à raconter aux gens de Paris, lesquels, c'est bien connu, se droguent tristement à l'absinthe dans des cafés gris et déjà pollués en cette fin du XIXème siècle, accompagne cette liqueur toutes les fois qu'on en sort le flacon.
Et cette histoire, mes amis, c'est celle du bon Révérend-Père Gaucher.
Notez que, au début, il n'y avait que le frère Gaucher, esprit relativement simple, recueilli par les Pères-Blancs à la mort de sa tante - la tante Bégon d'aimable mémoire - qui l'avait élevé. Comme il n'était guère doué mais qu'il était aussi robuste et de bon vouloir, on n'avait trouvé qu'une seule tâche d'importance à lui confier : garder les boeufs de l'Abbaye.
Une Abbaye qui, de son côté, était un peu, ma foi, à l'époque, comme l'humble frère-bouvier. Jadis, elle avait eu son heure de gloire et de fortune. Mais maintenant, les pauvres moines allaient dans de bien piteuses bures qu'ils usaient jusqu'à la trame. La mitre du prieur était comme qui dirait mangée aux mites, la crosse de sa charge toute dédorée et, plus grave encore, les responsables de l'antique communauté se demandaient s'ils ne feraient pas mieux de s'en aller chacun de son côté, quoi qu'il leur en coûtât, pour répandre la Bonne parole sur les routes et dans les campagnes. Pour se nourrir, bien sûr, ce serait une autre affaire ...
En un mot comme en cent, la situation était désastreuse !
Mais qu'écris-je ? Non, pas désastreuse : apocalyptique !
Jusqu'au jour où Dieu, dans Sa bonté, Celui-là même qui a fait dire à Son fils : "Heureux les simples d'esprit car ils verront Dieu", oui, ce Dieu-là, s'en vint souffler au frère Gaucher qu'il tenait peut-être, dans les méandres de son esprit pourtant si modeste, LA solution tant espérée par ses frères. Et cette solution était on ne peut plus simple. Autrefois, quand il était enfant, le petit Gaucher suivait Tante Bégon qui vivait d'élixirs divers pour la santé, qu'elle fabriquait en glanant des herbes et des plantes bien précises et dont la tradition familiale lui avait transmis la connaissance. Elle les revendait à droite et à gauche et, ma foi, ça faisait vivre assez bien la tante et le neveu. Et, bien sûr, l'enfant, tout heureux dans cette espèce d'école en plein air, avait retenu pas mal de choses de la science de Tante Bégon. Parmi elles, la liste des ingrédients à la base d'une liqueur quasi divine qu'il était disposé à fabriquer pour l'abbaye afin de permettre à celle-ci de recouvrer tout son éclat - et la considération de ses ouailles.
Oh ! n'allez pas croire que cela se fit en un jour ! Il fallut chercher, fouiller au plus profond des souvenirs du bon frère Gaucher pour être sûr et certain qu'on n'oubliait aucun ingrédient indispensable. Il fallut aussi se replonger dans la distillation, sa durée, ses conditions - ses mystères. Et puis, forcément, dans l'estimation par le goût du résultat.
Et là, mes amis, alors là, ce fut fabuleux ! Cet élixir, l'élixir de la Tante Bégon, qui la faisait chanter tant de chansons égrillardes après boire, se révéla une merveille : un arôme, une couleur, un velouté, en même temps un petit coup de fouet qui vous redressait l'âme et le corps ... Les moines se chargèrent du conditionnement, comme on dirait en nos jours de haute technologie, et le miracle se poursuivit. Toute la campagne environnante, après y avoir goûté, se prit de passion pour ce qui était devenu "L'Elixir du Révérend-Père Gaucher" - car il n'y avait plus, vous pensez bien, de frère Gaucher. Oublié, ce sans-grade sympathique mais si désespérément simple ! Oubliés, les boeufs qu'il avait gardés si longtemps et que l'on avait confiés à un novice !
Mieux : la renommée, le respect revenaient faire leur cour à l'Abbaye. le Prieur avait une mitre toute neuve et une crosse qui étincelait d'or. Les bures des malheureux frères ne faisaient plus ni rire, ni sourire : c'étaient de véritables bures, en belle toile, dignes de leur noble et sainte fonction. Idem pour les sandales des Pères Blancs, hier encore en si piteux état.
Ah ! Dieu était bon. Et sans doute devait-Il contempler tout cela d'un oeil bienveillant lorsque, comme d'habitude, Satan s'en mêla en décidant, lui aussi, de donner son avis - très personnel mais somme toute redoutablement honnête - sur l'Elixir du Révérend-Père Gaucher.
Pour être plus précis, Satan préféra que ce fût le Père Gaucher en personne qui le clamât, cet avis, ou plutôt le tonitruât, enfin le chantât sur tous les tons par toutes les salles de l'Abbaye, et cela après chaque distillation, lorsqu'il venait de tester le velouté final de l'alcool qui avait rétabli la richesse des Pères-Blancs. A Sa façon, très particulière, nous le savons bien, mes soeurs et mes frères , Satan, en somme, se donnait le luxe de célébrer le talent que Dieu, par l'intermédiaire de Tante Bégon, avait légué au Révérend-Père Gaucher.
Seulement, proclamer son enthousiasme en récitant complies et psaumes ou encore en chantant en grégorien, ça n'a jamais vraiment été la tasse d'élixir du Maître des Ténèbres. Il ressuscita donc tous les souvenirs que Gaucher avait pu conserver des chansons à boire de la défunte Tante Bégon et lui affirma que c'était en chantant, le plus fort possible, ces chansons-là, pourtant profanes, et non les nobles chants liturgiques auxquels étaient habitués les Pères-Blancs, que Lui, Satan, entendait rendre gloire à Dieu. A chacun ses chansons et le Ciel, comme l'Enfer, seraient bien gardés.
Il est difficile de résister à Satan, surtout quand on est en pleine distillation d'un alcool quasi divin et qui, à défaut de ressusciter les morts, est parvenu à redonner vie et richesse à une abbaye tout entière. Alors, le pauvre Révérend-Père Gaucher, qui, de plus - héritage génétique bégonesque, peut-être - avait un petit faible pour son Elixir, rendit les armes et célébra la gloire de Dieu en hurlant à tue-tête "Jeanneton prend son faucille ... ta-ta-ta ... En chemin elle rencontre trois jeunes et beaux garçons ..." - enfin, vous imaginez le genre de couplets pour le moins paillards que Tante Bégon, après boire, avait enseignés sans le vouloir à son neveu ...
Forcément, dans une Abbaye de Prémontrés, et pendant les prières du soir, ce type de chansons, si gaies qu'elles soient, ça fait désordre ... et surtout mauvais genre. Seul Satan y trouvait son compte et manifestait son assentiment en marquant gaiement la mesure.
Dès qu'il comprit ce que le Démon le contraignait à faire, le pauvre Gaucher, épouvanté, se rua dans l'Eglise et jura qu'il perdait son âme, que cela n'était pas possible et qu'il ne pouvait, dans de telles conditions, continuer à fabriquer ce maudit élixir !
Je vous laisse à imaginer la stupeur chez les moines, l'horreur chez le prieur et les responsables et les visions cauchemaresques et immédiates qui envahirent la nef d'une Abbaye des Pères-Blancs retournée à la ruine, à la misère, aux mites, aux bures trouées, etc, etc ... On essaya de convaincre Gaucher mais le malheureux ne parlait plus que de ses chers boeufs qui, bien que portant des cornes, étaient des animaux sains et saints - d'ailleurs, n'y avait-il pas un boeuf pour présider à la naissance de Notre-Seigneur ? Ne l'oubliez pas dans votre Crèche de Noël surtout ! ;o)
On pensa d'abord à ce que Gaucher formât un novice pour distiller à sa place. Mais dame ! ce n'était point possible. Car, pour le velouté final, cette "touche" qui n'appartenait qu'à lui, Gaucher ne se fiait qu'à son seul palais ...
Que faire - ah ! que faire, mes enfants, mes amis ? L'affaire était grave, un véritable cas de conscience pour ces hommes de Dieu : ou sacrifier l'âme du Père Gaucher pour l'éternité, ou sacrifier les ressources toutes neuves et bien légitimement acquises de l'Abbaye ...
Un qui s'en donnait à coeur joie, c'était le Diable. Il les savait tous coincés et puis, après tout, ajoutait-Il ironiquement, n'avait-Il pas, Lui aussi, le droit de rendre grâce au Seigneur ? Après tout, c'était Son droit de préférer la chanson sur les nonnettes de Paris qui s'amusaient avec les Pères-Blancs que les "Ave Maria" et les "Pater Noster" ! Oh ! Il voyait le coup venir ! On le flattait en le traitant de "Seigneur des Ténèbres" mais on ne voulait pas que Gaucher chantât à Sa place pour Dieu des chansons somme toute innocentes et qui n'avaient rien à voir avec le culte satanique, tout de même ! Une fois de plus, on Lui donnait le mauvais rôle !
Comment les Pères-Blancs parvinrent-ils à régler l'affaire à la satisfaction de tous - celle du Révérend-Père, le premier intéressé tout de même, celle de Dieu, celle de Satan ... et celle de l'Abbaye ?
Vous le saurez en lisant, en cette époque qui précède l'une des plus belles fêtes chrétiennes de l'année, Noël, "L'Elixir du Révérend-Père Gaucher", de notre Alphonse Daudet national.
Que Dieu vous bénisse, mes bons amis et surtout, n'oubliez pas de dresser chez vous votre Crèche de Noël car elle célèbre non seulement notre héritage christique mais aussi celui qui nous vient de Mithra, du Solstice d'Hiver si cher aux Celtes, nos ancêtre et, bien avant eux, à nos ancêtres indo-européens !
Et si vous avez des petits-enfants qui aiment la lecture, racontez-leur la mignonne et amusante histoire du Révérend-Père Gaucher et de son Elixir parce que, cette histoire, ça fait aussi partie de notre culture, de notre enfance et de notre identité de Français ! Bonne lecture et soyez fiers de ce que vous êtes et ... de notre Littérature !;o)
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