La honte, on préfère ne pas en parler. Mettre des mots dessus, en décrire les différents aspects, permet de la reconnaître, de la nommer et de mieux soigner les blessures dont elle est le symptôme.
Commenter  J’apprécie         20
On prétend aujourd'hui que la lutte des classes n'est plus d'actualité, comme si les rapports de domination avaient disparu, comme si l'origine sociale ne déterminait plus la place de chacun dans la société. Dans un monde fasciné par la réussite individuelle, la performance et l'excellence, les tensions sont vives entre les images idéales (ce qu'il faut devenir pour être "bien") et la réalité de ce que l'on vit. - 18 -
Les chemins pour remonter aux "sources de la honte" sont semés d'obstacles, de doutes et de souffrances. Dans la mesure où le sujet n'est pas uniquement concerné personnellement, il doit comprendre en quoi il est également "habité" par la honte de ceux qui lui sont proches, de ceux qu'il a besoin d'aimer, de ceux dont il attend l'amour. Il prend le risque, en voulant échapper à sa propre honte, de leur faire honte à son tour. Le dégagement est un travail délicat. Il consiste à partir à la reconquête de la vérité dans l'histoire familiale, à démêler le vrai du faux dans ses relations à soi-même et autres autres.
La honte réactive (…) indique au sujet qu’il lui faut réagir face à une situation qui « le prend en défaut ». Lorsque le regard d’autrui le met en flagrant délit d’indignité, il se mobilise pour restaurer son image, pour prouver à autrui qu’il n’est pas indigne et méprisable. L’humiliation est vécue comme une agression que le sujet va chercher à extérioriser sous forme de rage, de haine, de colère, de revanche ou d’ambition. p 71
Le dégagement de la honte passe donc par une remise en question de l'intériorisation des normes stigmatisantes et par une contestation du regard des dominants. C'est dans cette capacité à refuser une identité prescrite que s'amorce la possibilité d'en produire de nouvelles. Il y a là un mécanisme de dégagement central du sentiment de honte, lorsque l'acteur refuse l'intériorisation négative qui lui est renvoyée et se projette dans un devenir qui lui permet d'échapper à l'identité négative qui lui est attribuée.
Que signifie aujourd'hui "être convenable", "être bien élevé", être "comme il faut" ? La multiplicité des cultures et des idéologies produit une diversité des "convenances" et des normes. Les raisons d'avoir honte ou d'être fier deviennent flexibles et aléatoires. La tendance à les garder pour soi s'affirme. Cette évolution est sans aucun doute le signe d'une plus grande liberté individuelle. Mais elle contribue à fragiliser les individus. L'assouplissement des normes sociales et la remise en question des conformismes divers obligent le sujet à se fixer lui-même ses propres principes et ses propres limites. Le développement de "pathologies des frontières" (borderline, personnalités limites) est le symptôme de cette évolution.
Vincent de Gaulejac, c'est quoi un système qui rend fou ?