RÊVE DE D’ALEMBERT
INTERLOCUTEURS
D’ALEMBERT, Mademoiselle de L’ESPINASSE, le médecin BORDEU.
BORDEU.
Eh bien ! qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? Est-ce qu’il est malade ?
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Je le crains ; il a eu la nuit la plus agitée.
BORDEU.
Est-il éveillé ?
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Pas encore.
BORDEU.
Après s’être approché du lit de D’Alembert et lui avoir tâté le pouls et la peau.
Ce ne sera rien.
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Vous croyez ?
BORDEU.
J’en réponds. Le pouls est bon… un peu faible… la peau moite… la respiration facile [1].
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
N’y a-t-il rien à lui faire ?
BORDEU.
Rien.
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Tant mieux, car il déteste les remèdes.
BORDEU.
Et moi aussi. Qu’a-t-il mangé à souper ?
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Il n’a rien voulu prendre. Je ne sais où il avait passé la soirée, mais il est revenu soucieux.
BORDEU.
C’est un petit mouvement fébrile qui n’aura point de suite.
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
En rentrant, il a pris sa robe de chambre, son bonnet de nuit, et s’est jeté dans son fauteuil, où il s’est assoupi.
BORDEU.
Le sommeil est bon partout ; mais il eût été mieux dans son lit.
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Il s’est fâché contre Antoine, qui le lui disait ; il a fallu le tirailler une demi-heure pour le faire coucher.
BORDEU.
C’est ce qui m’arrive tous les jours, quoique je me porte bien.
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Quand il a été couché, au lieu de reposer comme à son ordinaire, car il dort comme un enfant, il s’est mis à se tourner, à se retourner, à tirer ses bras, à écarter ses couvertures, et à parler haut.
BORDEU.
Et qu’est-ce qu’il disait ? de la géométrie ?
MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.
Non ; cela avait tout l’air du délire. C’était, en commençant, un galimatias de cordes vibrantes et de fibres sensibles. Cela m’a paru si fou que, résolue de ne le pas quitter de la nuit et ne sachant que faire, j’ai approché une petite table du pied de son lit, et je me suis mise à écrire tout ce que j’ai pu attraper de sa rêvasserie.
Rencontre avec Christian Grataloup autour de Géohistoire. Une autre histoire des humains sur la Terre paru aux éditions des Arènes, et de L'Atlas historique de la terre (Les Arènes).
Christian Grataloup, né en 1951 à Lyon, agrégé et docteur en géographie, successivement enseignant du secondaire, professeur de classes prépas, formateur d'instituteurs puis de PEGC, maître de conférences à l'université de Reims et finalement professeur à l'université Paris Diderot. Les recherches et les publications de Christian Grataloup se sont toujours situées à la charnière de la géographie et de l'histoire. Une grande partie de ses travaux concernent la didactique, en particulier par la mise au point de «jeux» pédagogiques. Il a notamment publié: Atlas historique de la France (Les Arènes, 2020), L'invention des continents et des océans. Comment l'Europe a découpé le Monde (Larousse, 2020), Cabinet de curiosité de l'histoire du Monde (Armand Colin, 2020), Atlas historique mondial (Les Arènes, 2019), Vision(s) du Monde (Armand Colin, 2018), le Monde dans nos tasses. Trois siècles de petit-déjeuner (Armand Colin, 2017), Introduction à la géohistoire (Armand Colin, 2015).
--
20/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite (https://ausha.co/politique-de-confidentialite) pour plus d'informations.
+ Lire la suite