Publié entre 1868 et 1869,
l'Idiot fait partie de ces classiques que l'on ne présente plus. Comme dans la plupart des romans russes, les premiers chapitres s'ouvrent sur une kyrielle de personnages aux noms difficilement distinguables pour le lecteur français : le Prince Mychkine, Parfione Rogojine y côtoient Nastassia Filippovna et la famille Epantchine (tchin tchin tchin !).
Une fois cette première difficulté passée, on s'attarde sur le Prince Mychkine, figure du benêt non accepté par la société et fréquemment terrassé par des crises d'épilepsie qui n'aident pas à convaincre ses récentes connaissances de son intelligence. Et cependant, quelle clairvoyance dans ses analyses psychologiques ! Incompréhensible pour la plupart, il se révèle néanmoins d'une extrême prévenance pour les deux autres fous du roman, l'éternelle damnée Nastassia et son soupirant Rogojine. Sa gentillesse et sa naïveté en font un objet d'admiration pour certains (la Princesse Epantchine), de moqueries (pour les filles de la Princesse précédente), mais surtout une sorte de vache à lait pour les intrigants et les profiteurs qui essaiment autour de lui : Lébédev, Gania, Keller, ou encore Hippolyte, tous aussi détestables les uns que les autres.
Une fois le décor posé, quelques grandes thématiques s'esquissent : celle du hasard et du destin, des rencontres fortuites dans un train aux choix de vie de Nastassia et d'Aglaïa, qui tente toute deux d'échapper à leur destin rectiligne de splendides jeunes femmes attirant tous les regards.
Le roman est également truffé de scènes et d'impressions prémonitoires quant à une menace qui se fait de plus en plus oppressante au fur et à mesure de la lecture :
Rogojine et sa folie meurtrière hantent les personnages, qui tentent et échouent maintes fois à lui échapper. Les pressentiments de la Princesse Epantchine sur sa fille se vérifient, tandis que la peur qu'un évènement survienne rend aussitôt celui-ci inéluctable, à l'image du vase brisé. L'Idiot fait également étalage de la vanité de ses personnages : seul le Prince en est totalement dépourvu, tandis qu'elle dicte les agissements de
Gania, qui refuse de se déshonorer et se condamne à la pauvreté, d'Hippolyte, qui clame haut et fort sa résolution de se suicider, mais aussi de Nastassia qui ne peut se résoudre à abandonner sa liberté et sa vie de débauche, ou d'Aglaïa qui tourmente ses soupirants pour son seul plaisir.
Finalement, seul le Prince, et peut-être Rogojine, font véritablement preuve de sincérité et d'abandon total.
Les multiples intrigues qui parsèment le roman lui donne une temporalité particulière : Lébédev, Gania et Varvara tentent sans cesse de tirer parti de leur entourage, et Nastassia elle-même se mêle d'échanges de lettres et de manoeuvres secrètes.
Ce drôle de rythme est renforcé par une narration faisant la part belle aux dialogues de ses personnages qui exposent leurs opinions sur la religion et le catholicisme, sur la peine de mort...Au-delà des dialogues, les personnages se distinguent par de longs monologues et analepses qui prennent souvent des allures de confessions : Rogojine dans le train, le Prince sur sa vie en Suisse, les récits mensongers du Général, les vilénies de chacun à avouer lors de la soirée de Nastassia, ou encore l'article d'Hippolyte. le narrateur lui-même en vient à expliquer à son lecteur son choix de personnages, se justifiant par moment lors d'arrêts sur image avant que ne reprenne le récit.
Les sauts temporels sont également nombreux, et bienvenus vues les longueurs que comportent par moment le roman, qui selon moi laisse trop de place aux canailles, et dont les personnages sont peu attachants, trop extrêmes ou trop enfiévrés.
Et pourtant les rebondissements sont tels que la lecture révèle des scènes pleines d'éclats, des passages quasi-philosophiques et des réflexions diablement pertinentes, qui nous dévoilent sans pudeur et comme sait si bien le faire
Dostoïevski la très tourmentée âme russe !