La semeuse
Comme un bulletin météorologique des contrées boréales,
Claude Dourguin délivre ses «
Ciels de traîne » avec cumulus instables, pluies soudaines et rayonnements instantanés, ce lessivage mental qui amorce des élans légers et des idées neuves, par capillarité. le lecteur découvrant l'oeuvre de
Claude Dourguin peut d'abord être agacé par l'étalage bien agencé d'une culture classique de haute volée, picturale, littéraire, musicale mais rapidement il aperçoit la vision de l'auteur, l'oeil critique, exigeant et amoureux, la sincérité et la justesse du propos, la beauté et la précision de la langue. Les paragraphes courts et denses se dégustent à toute heure mais peut-être plus particulièrement à la tombée du jour quand les ombres et les silences s'étendent et s'épaississent. Jamais futile ou prise en défaut, la pensée de l'auteur finit par sourdre et ensorceler. A partir de la page 50, on voudrait prendre des notes tant la pensée fuse et enchante en dépit d'un propos parfois grave : « Vieillir : passer du singulier au pluriel – non plus le bonheur, l'amour mais les bonheurs, les amours etc. Et aussi (par là même) du général, de l'abstrait au concret, non plus La Mort mais les morts ». L'auteure compare, pèse, tend des passerelles entre des auteurs.
Giono avec l'emphase de son « lyrisme approximatif » ne résiste pas à la
Provence de Bosco : « […] justesse dans les évocations, exactitude (des paysages) et
poésie », ou « la sobriété des moyens ne se sépare pas d'un grand pouvoir évocateur ». Il en est de même entre Soulages et Focillon quant à la transfiguration du noir que l'historien d'art a parfaitement décrite soixante-dix ans auparavant. le paysage occupe de même une place de choix dans les
oeuvres picturales aimées et contemplées à l'envi ainsi de Patinir, de Ruysdael et du Lorrain. En passant, elle réhabilite Eugène Boudin : « Avec les années, il ne fait que toucher davantage ». La comparaison avec Turner vire au profit du peintre normand qui s'exprime ainsi : « Nager en plein ciel. Arriver aux tendresses du nuage. Suspendre ces masses au fond, bien lointaines dans la brume grise, faire éclater l'azur. » Auteure généreuse,
Claude Dourguin livre des trésors puisés avec intelligence et sensibilité dans des
oeuvres ou des écrits, ainsi du critique d'art spécialiste
De La Renaissance italienne
Bernard Berenson ou de la myriade d'écrivains, de peintres, d'architecte jetée d'un geste auguste au passage telle la semeuse soufflant à tout vent sur une tige de pissenlit : Botta, Roud, Stifter, Matisse, Cézanne,
Du Bouchet,
Rilke, Thoreau, Bazaine, etc. Si près d'une culture in vivo, le lecteur est étourdi, émerveillé et reconnaissant pour la succulence des nourritures offertes. Dans la belle collection « En lisant, en écrivant » chez
José Corti, Claude Dourgouin remplit largement le cahier des charges et donne envie de continuer les sentiers de traverse ensemble. Une suite est prévue dans la même collection pour avril 2016. le bonheur de lecture en cheminant avec l'auteur devrait perdurer dans la foulée d'un printemps à venir.