« Bon, j'étais poète, oui, poète, puisque vous voulez savoir, pas un poète officiel, un poète clandestin, mais c'est fini ; maintenant je suis des vôtres, je suis un minable. »
Au moment où j'écris ces lignes, j'écoute Purple Rain et j'aime ça.
«
le poète russe préfère les grands nègres », d'Édouard
Limonov (ou Editchka).
Bon, déjà, en cherchant deux-trois infos sur le net j'ai appris que la traduction française (Jean-VO tu la boucles) s'est octroyé quelques libertés au niveau du titre ; et bien qu'appréciant celui-ci (j'aime la provoc), rétablissons la vérité et son titre à « C'est moi, Editchka ».
Je vais pas m'étendre sur la bio du type,
Emmanuel Carrère en a pondu une dont j'ai entendu certains éloges ; pour ne pas dire des éloges certains.
Donc moi je vous ai juste synthétisé une petite bio piquée sur Wikipedia, fun et concise :
« Truand à Kharkov, poète à Moscou, sans-abri puis domestique à New York, écrivain et journaliste à Paris, milicien pro-serbe pendant la guerre de Bosnie, dissident puis prisonnier politique dans l'ex-URSS,
Limonov fut empêché d'être candidat à l'élection présidentielle russe de 2012 ». Un sacré galopin, donc. Ah, et il est mort en 2020. Comme c'était y'a pas longtemps et que dans 2020 y'a deux 2 et que dans 2021 aussi, je me sens concerné, maintenant.
« C'est moi, Editchka » est un roman autobiographique. le jeune Editchka, la trentaine, a fui l'URSS (à priori on l'aurait plutôt invité à se tirer gentiment, sûrement à base de gros coups de pression façon russe) pour émigrer dans le Nouveau-Monde avec sa copine Elena. le souci c'est qu'il déchante bien vite, notre poète : sa meuf le largue, après l'avoir fait cocu.
Alors pourquoi me direz-vous ? Problèmes d'érection ? Addiction à Dofus ? Zut, je confonds…
Bref, rien de tout ça ! La petite, déçue d'un mari incapable de gagner sa croûte (il bouffe de la soupe à l'oignon quasiment tout le temps le mec : à fuir !!) s'en va à la conquête de l'Amérique opulente : elle veut jouir de la vie. Dans les faits, ça se traduit en gros par aller se faire baiser par de riches américains (fuck les riches).
Alors dégoûté des femmes, notre poète en mal d'amour cherchera à satisfaire son manque affectif avec d'autres hommes. Il connaîtra sa première expérience homosexuelle avec un clochard noir un peu louche dans un terrain-vague de Manhattan.
Et tout le long du livre, Editchka nous partage ses galères et ses états d'âme. Parce que pas facile pour un poète underground de l'URSS de percer dans le Nouveau-Monde où tout le monde s'en branle de lui. Alors il fait des jobs de merdes, enchaîne les tentatives – aventures amoureuses ou quête d'argent. Et pendant tout ce temps, il nous cause de ses souvenir : de sa vie à Kharkov, de sa vie avec Elena, avec ses potes. Il cause de ses déboires : les soirées arrosées de Vodka (oui, c'est cliché), les meetings sociaux, les tentatives littéraires et journalistiques. Et de son manque d'amour.
« Je n'avais qu'à lui enfoncer la tête dans l'eau. Elle n'a jamais su à quel point elle avait été près de la mort. J'essayais de la convaincre de revenir, de rester encore avec moi pendant un an, six mois. Assise dans sa baignoire elle dissertait avec insouciance sur mon incapacité à jouir de la vie. Elle n'avait strictement aucun goût, elle était incapable de comprendre que j'étais quasiment un homme mort et qu'il était pour le moins mauvais de se vanter de sa capacité à se trouver un partenaire pour… Elle parlait et moi, j'étais assis sur le carrelage de la salle de bain, et je regardais fixement son minet gonflé. On sait ce que c'est, cela signifiait qu'elle avait baisé toute la nuit… Bon, mais pourquoi moi je ne, pourquoi je… Moi j'espérais, je pensais : qu'elle soit une traînée, une aventurière, une prostituée, mais que l'on reste unis toute la vie. »
J'ai eu du mal au début, peut-être que le ton me convenait pas trop. Faut dire qu'à force de bouffer des bouquins de types qui causent de pourquoi la vie c'est nul, on commence à y croire (j'déconne, j'en étais déjà persuadé). le premier chapitre m'est un peu apparu comme une énumération de ses potes russes émigrés, et sur le coup ça m'a gonflé. du coup j'ai lu le 3ème tome de le Sorceleur (qui est, en fait, le premier tome où commence le roman, les deux premiers étants des séries de nouvelles) entre le premier chapitre et le second. J'avais sûrement besoin de rêver un peu d'autre chose, plutôt que de me morfondre avec Ed.
Ensuite : j'étais prêt.
Car j'ai aimé me morfondre avec Ed. Ce livre traite essentiellement de la désillusion du poète, qui déboule en Amérique et se voit confronté à une ville qui ne le connaît pas ni n'a envie de le connaître (un peu comme mon révéré
John Fante avec Los Angeles). Lâché par « l'amour de [sa] vie », il recherchera constamment l'amour et l'attention de ses pairs, déplorant un pays guidé par une indifférence des uns envers les autres, par un monde de « l'argent-roi ». le poète Editchka est une sorte de –ces termes ne sont pas les miens et ont été utilisé à propos de
John Fante – « rageur-sentimental », et ses pensées, sombres, qu'il couche dans ce livre nous offre la vision d'un personnage vrai et tristement humain, souvent guidé par ses émotions mais parfois raisonnable.
Le livre ne lésine pas dans les détails sales (et souvent lubriques) des pensées du poète. Dans le chapitre « Là où elle a fait l'amour », Editchka retourne sur le lieu du crime (l'appartement du premier amant d'Elena), et essaie de se branler dans les chiottes. Putain. Qui fait ça ? En tout cas, qui l'écrit ? Et c'est là que la plume de
Limonov est vraiment la plus belle à mes yeux : dans toute sa sordide honnêteté. On ne peut qu'être témoin de la détresse du poète dont les pensées exploreront tous les états : la tristesse et la mélancolie, en passant par l'excitation (souvent), pour finir sur ce que j'ai jugé comme une sorte de rédemption : l'acceptation, non pas par une résignation mais par le pardon. le pardon à soi.
En gros c'est un livre qui cause de désillusion, d'indifférence, d'amour et d'argent. C'est un livre qui chie sur l'Amérique, mais aussi sur l'URSS ; et sur un peu tout en fait. C'est un livre qui chie sur l'humain et qui nous éclabousse.
Mais c'est aussi un livre qui parle de nos propres faiblesses, et qui nous rend hommage ; car c'est un livre qui nous traine dans la boue, et qui nous montre que c'est bien parce qu'on est moche qu'on est aussi un peu beau.
À lire donc si vous aimez les livres où il ne se passe pas grand-chose ; un livre où un type lambda offre le récit de son quotidien et ses états d'âmes ; un livre qui ne fait pas rêver, où on souffre plutôt avec l'auteur ; un livre dans la lignée d'un Fante – les similitudes sont vraiment nombreuses – et comme j'ai l'impression que j'en ai presque plus causé que de
Limonov, faudra quand même que je vous en parle un jour.
Pour conclure, un petit extrait, du chapitre précédent l'Épilogue et qui, je trouve, fait écho au premier :
« En la regardant je songeai qu'il était merveilleux que je n'aie pas réussi à l'étrangler, qu'elle soit vivante et qu'elle soit au chaud et au sec, c'est l'essentiel. Et en ce qui concerne le fait que plein de types mettent leur queue dans son petit con, tant pis, c'est elle qui le veut, j'en souffre mais cela lui fait plaisir. Vous pensez que je suis en train de faire le con et que je joue au Christ qui pardonne tout ? Des couilles, je suis sincère, je ne peux pas mentir, je suis trop orgueilleux, je souffre et même beaucoup, mais tous les jours je me répète : « Editchka, considère Elena comme le Christ considérait
Marie-Madeleine et toutes les femmes pécheresses, non, fais même mieux. Pardonne-lui ses erreurs et ses aventures d'aujourd'hui. Que faire, elle est comme ça. Si tu l'aimes, cette créature maigre et longiligne en jean délavé qui va de parfum en parfum en les reniflant tous d'un air important et qui débouche et rebouche les flacons, si tu l'aimes, sache que l'amour est au-dessus des offenses personnelles. Elle est déraisonnable, méchante et malheureuse. Mais toi qui te considères comme étant un être raisonnable et bon, aime-la et ne la méprise pas. Regarde-la vivre, puisqu'elle ne le veut pas, ne te mêle pas de sa vie mais quand c'est nécessaire et si tu peux, aide-la. Aide-la sans rien attendre en retour, n'exige pas qu'elle revienne avec toi en échange de ce que tu pourrais faire pour elle. L'amour ne demande ni reconnaissance ni satisfaction personnelle car il est lui-même un plaisir. »
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