Ce livre est un énorme coup de coeur, il vient d'ailleurs de se placer en tête de mes polars préférés. Que de richesse en un seul roman ! Je ne sais pas par quoi commencer. Par le contexte historique magistralement exploité, par l'enquête éprouvante mais ô combien bien pensée, ou encore par le personnage principal très humain dont les pensées sont magnifiquement retranscrites grâce à une plume humble et poétique ? Parce qu'il faut bien se jeter à l'eau et rendre justice à ce petit chef d'oeuvre, adoptons cet ordre-ci.
Lyndsay Faye a fait un travail remarquable. Il ne s'agit pas tant de ses recherches dont on ne peut nier le sérieux, mais plutôt de sa manière d'agencer les idées, de décrire les décors avec tant de précision qu'on se voit arpenter les rues de New York aux côtés de Timothy Wilde. Lyndsay nous fait faire un bond temporel, nous projetant en 1845 au coeur d'un New York troublé, sa population éprouvant une haine viscérale envers les étrangers, qu'ils soient noirs ou d'origine irlandaise. Ce contexte houleux nous frappe, on ressent le malaise d'une ville qui souffre d'être déchirée de l'intérieur. On revient également sur les débuts chaotiques d'une police mal vue par une population qui la croit à la solde des politiciens. Grâce à Tim, on dispose d'une vision plus objective sur ces événements. La politique nous est dépeinte avec un recul teinté d'une touche de mépris, mais ses dispositions comme les nôtres évoluent tout au long du récit. le roman dégage une force phénoménale, on ne se sent jamais en marge des conflits, on est plongé au centre des bagarres, à tel point qu'on a les poings qui nous démangent et le coeur lourd.
Concernant l'enquête, il n'y a rien à redire. La construction du récit est ingénieuse et parfaitement maîtrisée ; les crimes commis sont terribles en cela qu'ils touchent à l'innocence même, puisque les victimes sont des enfants n'ayant pas connu le respect dans la vie et encore moins dans la mort. On entre dans le vif du sujet avec une première scène troublante qui nous donne matière à réflexion pendant la majeure partie du roman, pour ne pas dire la totalité. Les suppositions vont bon train, mais, sincèrement, je n'ai pas pu prévoir quoi que ce soit du dénouement, je n'ai fait qu'effleurer le sommet de l'iceberg sans même le fendiller.
Côté personnages, on est vraiment gâtés. Timothy Wilde, ancien barman qui a tout perdu lors d'un incendie monumental, est devenu policier par la force des choses, son frère l'ayant recyclé malgré lui. Faire le lien entre le avant et le après cet événement était nécessaire, et on n'en perd pas une miette. D'une, cela nous met dans l'ambiance tendue de la ville, et de deux, cela nous permet de connaître ce fabuleux personnage dont les rêves partent en fumée en l'espace d'une nuit. Il se retrouve sans le sou et partiellement défiguré. C'est toute sa vie qu'il doit reconstruire, extirpant des décombres ce qui peut être sauvé. Ce retour en arrière est l'occasion de l'aimer pour toutes les facettes de sa personnalité, notamment celle qui le fait s'investir corps et âme dans cette enquête atroce. Tim possède la plus belle humanité qu'il m'ait été donné de voir chez un personnage de littérature. Il est à la fois blasé et naïf, c'est terriblement touchant. Je suis totalement sous le charme.
Ses relations avec les autres protagonistes sont très bien dépeintes. Il a une faculté étonnante pour cerner les gens et retenir les détails dont l'importance apparaît toute relative. C'est captivant de voir le monde à travers ses yeux. Humble ce qu'il faut, pragmatique mais rêveur, homme mais un peu enfant. Cela donne une pensée humble et poétique, comme je le disais plus haut.
J'ai adoré sa relation conflictuelle avec son frère, le sulfureux Valentin Wilde, pompier intrépide et politicien de génie. En lui offrant une deuxième chance, Val donne à leur relation un nouveau souffle, permettant aux deux frères de crever l'abcès des vieilles rancoeurs. Je ne m'attarderai pas sur la petite Bird, une enfant prostituée, ni sur sa logeuse boulangère au grand coeur, et bien d'autres qui sont autant de personnages aux caractères superbement développés qui ne font qu'apporter plus de profondeur à un roman qui n'en manque pas.
C'est le genre de roman qui vous prouve que tout peut être bon… pardon excellent dedans, et que l'ensemble tient debout, planté sur des pieds en béton armé recouvert d'or. Une auteure de génie est née. J'espère vraiment qu'elle nous régalera encore des aventures de Timothy Wilde !
Et parce que ce livre est truffé d'argot… Je tiens à remercier chaleureusement
Carine Chichereau, la traductrice de l'extrême, qui a plus que largement contribué à la qualité de ce roman.