Du temps de Clemente Cooling
Dans ce récit, un narrateur, forcement très proche (jusqu'à quel point ?) de l'auteur, évoque un organiste français qui fut son professeur d'harmonie. Mais nous sommes chez
Felisberto Hernández, et il ne va pas nous parler de suite de ce qui est censé être le sujet de son texte. Non, nous allons commencer par un détour, une ballade, le trajet d'un bus, les maisons qui sont là et qui n'étaient pas exactement les mêmes à une certaine époque. Et puis nous rentrons dans une de ces maisons, nous découvrons ses habitants, un fou qui a des crises, sa mère, ses trois soeurs. L'auteur prend le temps nous faisons des tours et détours au gré de sa mémoire. Et puis nous découvrons un neveu musicien, qui prend des leçons avec Clemente Colling, dont nous faisons enfin la connaissance et qui ne nous quittera plus jusqu'à la fin du récit.
C'est étrange, fascinant, cela demande de l'attention, certaines phrases dans leurs méandres ont besoin de plusieurs lectures, mais c'est prodigieux de finesse, poésie, d'un charme évanescent et légèrement délétère, comme des fleurs qui commenceraient un peu à pourrir dans leur vase. D'une folle originalité, et d'une liberté absolue. Difficile d'oublier un tel texte.
Le cheval perdu
Felisberto Hernández remonte encore d'avantage dans son passé, et évoque le souvenir de Celina, son professeur de piano. Nous le découvrons enfant attendant dans un salon, dont les meubles sont sous des housses blanches, et différents objets livrés à sa curiosité d'enfant. Car Celina arrive en retard lui laissant le temps d'imaginer, de s'approprier sa personne à travers les objets qui constituent son cadre de vie. Et puis nous suivons des leçons, nous découvrons Celina par les yeux de l'enfant à qui elle donnait des leçons. Une grande fascination et une grande attirance marquent les sentiments du petit garçon pour son professeur, un professeur qui peut pourtant être sévère et exigeant.
Un enfant devenu adulte, mais qui passe pourtant toujours beaucoup de temps avec Celina et le petit garçon qu'il fut dans les étranges labyrinthes de la mémoire et du souvenir.
Epoustouflant de virtuosité, de sensualité, l'auteur tel un funambule dansant au bord du vide, explore des territoires dangereux et instables de son passé, jamais vraiment quitté, au risque d'y perdre sa vie de maintenant. Une littérature de l'essentiel et du vital.
Terres de mémoire
L'auteur jeune homme marié part dans une tournée de pianiste, avec un autre musicien. le voyage en train se met à évoquer pour lui un autre voyage, fait pendant son adolescence, où il a déjà eu l'occasion de jouer du piano et de faire des rencontres importantes. Mais le présent, et son compagnon de voyage ne se laissent pas toujours oublier, et interfèrent avec le voyage dans les souvenirs.
Toujours aussi impressionnant que les deux textes précédents, avec une tonalité encore différente, le récit semble plus présent en tant que tel dans ce troisième récit. La frustration en est d'autant plus grande, puisque le texte est inachevé, et on aimerait connaître la suite, et voir comment l'auteur allait conclure ce qu'il avait si brillamment commencé. Tel quel, c'est un grand moment de lecture.