J'ai croisé le chemin de Francesca dans ma jeunesse, sur cette place Saint Nicolas, un moment d'été. Nous avions fait escale avec 3 copains dans notre embarcation de fortune, moins de 7 mètres de long, dotée de voiles légères et sensibles à la moindre brise. Romantisme de jeunesse, dans notre nudité et nos poches vides, nous avions eu le privilège d'aborder la ville par l'entrée du vieux port dans son architecture coloniale qui masquait encore les édifices moins élégants clairsemés de par la cité.
Nous découvrions cette île racontée parfois par certains de nos amis et dont les parents étaient originaires alors qu'eux étaient nés sur le continent. Nous étions accueillis par le cousin de Francesca ayant passé sa jeunesse à Grenoble et qui en fin de scolarité secondaire avait suivi ses parents dans leur retraite. Quelle meilleure aubaine que celle-ci pour découvrir l'île de beauté alors que nous n'avions pas vingt ans. Francesca faisait plus que son âge, elle essayait de chasser les dernières marques de l'adolescence et exhibait devant nous déjà une sensibilité littéraire. Elle s'ouvrait au monde et souhaitait se montrer femme devant ces mâles attablés nonchalamment à la terrasse du café.
Je fus surpris par sa détermination à la fois juvénile et étonnante. Je ne savais pas si notre aventure l'inspirait ou si elle avait décidé de livrer ses rêves. « Je n'ai pas d'ambition particulière … peut-être partir … vivre à la cloche… ». Avait-elle déjà mis la main sur l'oeuvre de Kerouac ?
Jusque-là, les indépendantistes corses n'étaient que des personnages de légende, on les racontait plus que l'on ne les rencontrait. Nous ironisions quand Serge vint nous accueillir au vieux port et que notre navire arborait, signe de complaisance, un pavillon confectionné par mes soins et montrant une tête de Maure bleu marine dans un losange rouge sur fond blanc. Genre régate un peu provocatrice.
Serge nous dit tout bas : « Vous êtes inconscients, ici, il y a des fous qui ont déjà tué des gendarmes… »
Nous étions loin de penser qu'un mois plus tard, ses propos seraient prémonitoires, vérifiés lors de l'occupation de la ferme d'Aléria, évènement considéré comme un tournant radical dans l'île.
Un matin la veille de notre départ définitif, nous ramenions Francesca chez elle, un autre cousin à elle conduisait la voiture. Elle souhaitait nous accompagner pour se baigner à la rivière qui s'écoulait sur le relief en contre bas de Prunelli di Casacconi, le fief de la famille où les parents de Serge s'étaient établis. Un village charmant, suspendu par miracle, de ceux que l'on ne rencontre que sur cette île trait d'union avec la Toscane.
Nous nous arrêtâmes saluer sa maman afin qu'elle demande l'autorisation. Cette dame de noir vêtue, me regarda de la tête aux pieds et fit non d'un signe de tête. Elle ne voulait pas et se protégeait, elle et sa famille, d'un nouveau drame car le frère de Francesca se battait entre la vie et la mort depuis peu, victime d'un accident de la route.
Francesca m'adressa un dernier regard plein de déception avant que nous prenions le chemin de la montagne au sud de Bastia.
Par bonheur, j'appris bien des années plus tard que Francesca maniait la plume, délaissant d'autres armes plus létales, afin de faire honneur à la Corse.
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Je connais la Corse que par ce que j'en ai entendu dire.
L'atmosphère de ce roman est fidèle à l'idée que l'on a de ce roman
Paysages , caractère des personnages tout est sévère.
On s'attache pourtant àux personnages.
Et oui ils ont le sang chaud .
Je vais essayer de découvrir l'autrice à travers un autre roman.
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Un livre que j'ai lu bien avant de découvrir le désert des Agriates, cet ilôt immaculé au nord de la Corse.
Les paysages sont remarquablement décrits et et l'autrice, qui est de Saint-Florent me semble-t-il,transcrit parfaitement leur beauté sauvage.
L'histoire est typiquement corse, très contemporaine et on s'attache aux personnages principaux.
Une lecture courte mais agréable.
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"Ils l'ont pris!" Le cri de Marie avait déchiré l'air, puis la maison était retombée dans le silence. Francesca était assise, près de la fenêtre. Elle était nue. Elle n'avait pas bougé, n'avait pas esquissé le moindre geste, mais le froid l'avait saisie. Elle tremblait. Elle avait la gorge sèche, ses lèvres étaient écorchées. Elle passa la main sur son épaule, dans son cou, toucha son ventre, sa main glissa entre ses jambes, elle sentit sous sa paume la peau un peu gluante. Elle cracha dans sa main, puis la frotta contre son sexe, elle mit la main contre son visage et lentement en respira l'odeur.
Tout le quartier du Vieux-Port était en fête. Des cierges et des lumignons rouges brûlaient sur les rebords des fenêtres. Derrière les jalousies entrebâillées, Francesca devinait les silhouettes des vieilles femmes qui priaient, le chapelet à la main.
"La Cadillac des Montadori" de Marie Ferranti