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Le seigneur nain Troïn a été assassiné sous la montagne noire !
Assassiné par un elfe qui s'est emparé d'un fabuleux trésor !
Alors, Baldwin, roi sous la montagne rouge, en appelle au grand conseil, afin que justice soit rendue.
Incrédules, les elfes demandent à retrouver l'assassin afin de le questionner et de prouver sa culpabilité.
Afin que l'on ne puisse pas accuser qui que ce soit de partialité ou de connivence, le conseil décide de confier l'enquête à un groupe comprenant plusieurs représentants de chaque peuple libre : elfes, nains et hommes. Mais chaque race va tenter de tirer son épingle du jeu. Et les hommes ont été bien silencieux pendant le conseil... ——— Une grande claque, une belle découverte, un roman épique, intelligent, cruel : impérieux. Attention, longue critique en perspective. Si vous n'êtes pas prêts, ne cliquez pas =) À première vue, ça n'était pas gagné et le crépuscule des elfes partait avec un handicap.
La preuve, grand fan de fantasy, d'héroïc fantasy, de jeux de rôles, inconditionnel de Tolkien et intéressé par tout ce qui peut revêtir un aspect médiéval fantastique (même dans mes goûts musicaux…), je n'avais jamais passé le pas de lire Louis-Jean Fetjaine et sa trilogie des elfes.
La faute en premier lieu à sa notoriété toute relative dans un genre largement trusté par Tolkien (merci Babelio pour tes suggestions personnalisées. Coeur sur toi), et, surtout, à la couverture si nian-nian du premier tome (et des seconds, avouons). On ne le dira jamais assez : faites des efforts pour les couvertures ! C'est vrai quoi, c'est quoi cette couverture ultra morne ? C'est une pub pour de la camomille ? Pour des serviettes de sphaigne ? Pour un yaourt ? Non, non et re-non !
Je comprends qu'on puisse fuir à la vue du livre !
Mais quelle erreur ce serait ! C'est un récit qui part sur une base assez classique (la communauté envoyée par un haut conseil afin de régler une affaire d'état), mais devient rapidement une épopée fabuleuse doublée d'intrications géopolitiques glaçantes et d'une vision mature et réaliste des hommes. Sans mentir, rien que pour lire l'aventure des "envoyés du grand conseil" dans leur quête, ce bouquin vaut le coup. C'est bien écrit, c'est crédible, c'est cohérent, c'est vivant, c'est documenté, c'est également très mature et froid, pas de place pour des atermoiements idiots, des retournements de vestes salutaires, des deus ex machina navrants.
Les héros sont faits de chair et de sang, ils vivent, ils souffrent, ils réfléchissent, ils avancent, ils doutent, ils pleurent, ils rient, ils meurent.
J'ai trouvé ce côté mature qui me manquait chez Tolkien qui parvient malgré tout à sauver 90% de ses héros dans une ambiance somme toute assez bon enfant.
L'absence de hobbits ou halfelings enlève de la légèreté au récit, aux actions. Certaines scènes de ce premier tome sont vraiment géniales et foutent des frissons. Je n'en dirai pas plus, mais rien que le personnage du nain Tsimmi, maître maçon doté de pouvoirs liés à la roche, vaut la lecture de ce livre.
Lui et Freihr, le barbare derrière lequel on ne pourra s'empêcher de voir l'ombre du héros de Howard.
Eux et Rogor, nain imposant, héritier de Troïn et déguisé en page malhabile.
Eux et Till, le pisteur elfe, comprenant le langage des animaux et des plantes.
Eux, et Uter, le jeune chevalier humain choisi pour son inexpérience et son faible pour la reine Lliane.
Lliane, la reine elfe sur laquelle repose toute la trilogie. Car au delà de ce premier tome relatant une aventure exceptionnelle, c'est le destin des elfes que Fetjaine nous raconte. Et, pour le coup, c'est peut-être un peu moins simple qu'une petite "quête" pour aller jeter un anneau dans le cratère d'un volcan ou récupérer une côte de mailles ou une épée d'or à un assassin elfe renégat.
En effet, la trilogie des elfes de Jean-Louis Fetjaine se base sur un background qui ne la fait pas entrer parfaitement dans les clous de la Fantasy traditionnelle et qui la situerait presque en fantasy-arthurienne. Bien que l'on y trouve des nains, des gobelins, des gnomes, des trolls (et bien sûr des elfes), le monde en question est bien le nôtre, tel qu'il était il y a plusieurs siècles. Or, me direz-vous, c'est impossible, impensable, insensé, fou ! Et bien je vous renverrai au prologue de ce premier tome, qui, lui-même, vous guidera aisément, pour un peu que vous soyez curieux, féru de mythologie celtique, ou que vous ayez un jour écouté Manau chanter "la tribu de Dana", vers la compréhension. J'avoue pour ma part que j'étais totalement ignare sur le sujet, et que j'ai passé le prologue à me dire "mais de quoi il parle avec ses Tuatha Dé Danann ?". Je ne m'étais jamais approché la cosmogonie celtique irlandaise, je n'avais jamais été très féru des légendes arthuriennes, et je me demandais bien où je mettais les pieds. Alors, après un prologue en demi-teinte, je me suis laissé porter par l'aventure grandiose qui s'en suivait, sans plus y repenser.
Pourtant, en diffusant par petites touches, petits renvois sournois, insidieux, mais qui remplissent très bien leur rôle, une dose de concret au sein de l'imaginaire fantasy, Fetjaine nous fournit des piqures de rappel, l'air de dire "hé, ho, tu te souviens qu'au début on a dit que tout ceci se passait dans TON monde, et que son souvenir s'est effacé car seuls les hommes ont survécu ?". Et c'est là que ce premier tome me laisse un sentiment bizarre, une sorte de mélancolie, ou, plus vraisemblablement, la définition même du Sensucht allemand, que j'avais tant de peine à comprendre. Si beau et si grandiose que soit cette aventure, on sait, dès le début, qu'elle se terminera par la victoire des hommes, par la mort du paganisme, par la fin de la magie, par la suppression de toute fantasy. Car ce roman n'est pas uniquement un autre pavé de fantasy, c'est également un essai sur l'avènement du monothéisme et la réécriture de l'Histoire, avec une grande hache, par les vainqueurs. En plus de diffuser la création du Monde telle que perçue par les Celtes (pourquoi celle-ci serait-elle moins bonne qu'une autre ?), Fetjaine indique de manière habile et claire diverses étapes de la transition cultuelle telle qu'elle a pu se dérouler (j'ai oublié de mentionner que l'auteur est "Diplômé de philosophie et d'histoire médiévale"… "Quel diplôme ?", me direz-vous. Bande de sceptiques.), et en profite pour la critiquer et la juger (pour une fois qu'on le peut). À ce propos, une scène est particulièrement édifiante où le Roi et son sénéchal discutent des bouleversements de la foi, de la nouvelle religion du dieu unique, et de l'aubaine que ceci représente pour les puissants et les seigneurs : "plus ils sont pauvre dans ce monde, plus ils seront riches dans l'autre" Alors oui, il y a des similitudes avec Tolkien. Oui, il y a un conseil. Oui, il y a une communauté envoyé en quête. Oui, il y a des elfes et des nains. Oui, il y a même des reliques magiques données aux différentes races par des divinités. Oui. Mais crénom de nom ! Tolkien n'a rien inventé ! Et c'est justement tout le mérite de Fetjaine (en plus de faire de la fantasy épique qui fait se dresser les poils sur les bras) de rendre à César ce qui appartient à César. Les conseils, les communautés, les tables rondes, on n'a pas attendu Tolkien. Les elfes, les korrigans, les farfadets, les gobelins et les gnomes, les trolls et les ogres, les dragons et les wyvernes, non plus. Les anneaux magiques, les dons des dieux, il faut être sacrément fan-boy débilo pour ne pas savoir que tout vient de mythologies plus anciennes que l'écriture même. Si je devais regretter certaines choses, je dirais que des répétitions auraient pu être évitées, car elles font l'effet d'une mauvaise relecture (dire 2 fois qu'on roule des pelles grâce aux enseignements des elfes, ça fait une fois de trop. Dire deux fois que les elfes n'ont pas de vraie famille, idem.).
——— Fetjaine nous offre un récit d'héroic-fantasy épique et grandiose, gorgé de conspirations et tractations géo-politiques, d'actes de bravoure et de franche camaraderie, d'aventure, de lutte contre les éléments et contre les autres. Tout ça, sur fond de haine raciale, et basé sur la mythologie celtique irlandaise ! CHA-PEAU pour les aventures de ces "envoyés du grand conseil" qui surpassent aisément, j'ose le dire, un smoothie Aragorn-Legolas-Gimlie. Une perle d'épopée épique, de fantasy engagée, d'aventure grandiose, que je pourrai relire volontiers d'une traite. (Je vous rassure, je ne serai pas du même avis pour le second tome !)
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