Des romans post-apo, il y en a des tas, mais je ne m'en lasse pas ! Si les récits tendance « fin du monde trash », où tous les protagonistes s'entretuent et/ou se transforment en zombie affamés, soulèvent aujourd'hui un peu moins d'enthousiasme (overdose, sans doute…), il existe heureusement bien d'autres histoires d'apocalypse. Pour ma part, j'ai toujours été davantage attirée par les romans mettant en scène le monde d'après (le vrai, hein, pas celui qu'on nous vend maintenant et qui est en fait le même que l'ancien) : que reste-t-il de notre civilisation, de nos villes, de nos machines, une fois que la Terre se trouve dépeuplée et que plusieurs générations ont passé ? La liste des oeuvres abordant le sujet est longue, et certaines des réponses proposées valent le coup d'oeil, qu'elles soient optimistes ou pessimistes, réalistes ou complètement tirées par les cheveux. Outre les classiques ultra connus, plusieurs parutions récentes réservent elles aussi de belles découvertes dans le genre, comme « Hysteresis » de Loïc le Borgne (qui relate la vie d'une petite communauté du fin fond de la Sarthe), «
Alliances » de
Jean-Marc Ligny (qui dépeint les rapports entretenus entre divers groupes de survivants et leur environnement), sans oublier «
Le livre de M » de
Peng Shepherd (tout le monde se met à perdre son ombre et ses souvenirs), ou encore «
Nécropolitains » de
Rodolphe Casso (trois expériences de société dans un Paris zombifié). A ce joli palmarès vient désormais s'ajouter «
Un gars et son chien à la fin du monde », premier roman de C. A Fletcher dans lequel je me suis plongée totalement par hasard et pour lequel j'ai eu un véritable coup de coeur. Ici, pas d'apocalypse spectaculaire, de catastrophe naturelle ou nucléaire, ni d'épidémie mortelle ou d'invasion extraterrestre : la fin du monde s'est faite en douceur, sans grande explosion ni effusion de sang. L'auteur ne nous en dit pas beaucoup sur le sujet, tout juste sait-on qu'un phénomène inexpliqué et baptisé la « Castration » est à l'origine de l'extinction progressive des humains (puisqu'en l'espace de soixante-dix ans la Terre passe de plus de sept milliards d'individus à quelques milliers). D'autres « phases » de l'apocalypse sont rapidement évoquées, et si certaines sont suffisamment limpides de part leur intitulé (« la Famine »), d'autres demeurent plus mystérieuses (« l'Échange » ; « la Convulsion »)… et le resteront jusqu'à la fin.
Le propos de l'auteur n'est en effet pas de nous relater la fin de notre monde. « Roman initiatique », « conte philosophique », « road novel »… : les descriptifs utilisés par l'éditeur pour tenter de définir l'oeuvre de C. A. Fletcher ne manquent pas, et tous sont finalement assez pertinents. le roman met en scène Griz, un adolescent qui vit avec sa famille sur une petite île écossaise coupée du monde. La vie y est simple mais agréable : des expéditions organisées sur la terre ferme leur permettent de trouver de quoi survivre ou se divertir, les bateaux leur fournissent un mode de déplacement rapide, et leurs contacts avec de rares voisins permettent d'échanger des nouvelles ou des objets de temps à autre. Tout va basculer lorsqu'un voyageur débarque sur l'île, comme cela arrive à de rares occasions, et profite de la bienveillance de ses hôtes pour leur dérober plusieurs possessions. Parmi elles, la chienne de Griz qui, sur un coup de tête, va se lancer à la poursuite du voleur à bord de son bateau et avec pour seule compagnie son autre chien. La traque va évidemment l'amener à arpenter des territoires inconnus et les ruines plus ou moins identifiables de notre civilisation. L'intrigue n'est certes pas des plus originales, et la plupart des péripéties du héros non plus, mais on se laisse malgré tout happer par l'histoire de cet adolescent curieux et débrouillard qui a quitté la sécurité de sa famille et de son île par fidélité envers son chien. Ainsi, même si les différentes rencontres ou découvertes du personnage n'ont, quand on y réfléchit, rien d'étonnant, on se prend pourtant à retenir son souffle ou à tourner les pages avec de plus en plus de frénésie tant l'envie de savoir ce qu'il va arriver à Griz et à ses chiens est impérieuse. N'allez toutefois pas vous imaginez une tension à la « Walking Dead », où l'on craint sans arrêt de rencontrer d'autres humains et où ces derniers sont systématiquement violents. le monde post-apo de C. A. Fletcher est un monde somme toute assez paisible (en tout cas dans la plupart des coins), où la nature a repris ses droits un peu partout mais où les décisions prises par les dernières générations d'humains ont encore de lourdes conséquences pour les survivants.
Le charme du roman tient aussi et surtout à la manière dont cette histoire nous est rapportée, puisque c'est Griz lui-même qui, après les faits, nous raconte le détail de ses aventures. Pour ce faire, l'adolescent prétend s'adresser à un autre garçon, celui dont il a trouvé la photo par hasard dans une maison en ruine il y a des années. Un ado dont il ne connaît évidemment rien, mais qu'il imagine vivant à notre époque et à qui il confie donc ses questionnements ou ses réflexions sur la façon dont les gens vivaient avant « la fin du monde ». Ce procédé narratif renforce évidemment le lien entre personnage et lecteur puisqu'il donne l'impression que Griz s'adresse personnellement à nous. le regard que le garçon porte sur notre époque est de plus très émouvant, mélange d'admiration pour les constructions immenses et la beauté de certaines oeuvres (livres aussi bien que peintures, sculptures ou morceaux de musique), mais aussi d'étonnement devant la vacuité de certains aspects de nos vies dont il a pris connaissance dans les livres. Car s'il y a bien un aspect de la personnalité du héros qui suscite l'affection du lecteur, c'est son attrait pour les livres en général, et ceux relevant de l'imaginaire en particulier. le roman fourmille ainsi de références littéraires à des romans post-apo comme « La route » ou « Un cantique pour Leibowitz », mais aussi de fantasy, puisque sont cités des auteurs comme
Tolkien ou bien Lewis. Loin d'accumuler les clins d'oeil de manière artificielle, l'auteur sait au contraire parfaitement quel élément du décor ou quelle rencontre va immédiatement éveiller chez le lecteur d'émouvants souvenirs. le seul bémol que j'aurais à formuler est finalement lié au fait que le héros nous relate son histoire à posteriori, si bien qu'il use et abuse de formules du genre « J'ignore alors que ça causera ma perte » ou « je ne me doutais pas alors que... » ce qui gâche parfois (légèrement) le plaisir de lecture.
C. A. Fletcher signe avec «
Un gars et son chien à la fin du monde » un premier roman remarquable qui, s'il ne révolutionne pas le genre post-apo, n'en possède pas moins énormément de charme. de l'aventure, du suspens, de l'émotion, des personnages attachants et un héros surprenant jusqu'au bout : voilà ce qui vous attend à la lecture de cet ouvrage qui laisse rêveur. A ne pas rater !
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