Minuit dans la ville des songes est plus qu'un journal, c'est un récit d'apprentissage auquel nous invite
René Frégni.
Minuit dans la ville des songes, c'est cette ville solaire que convoque le minot marseillais qu'il fut, qu'il est encore et le restera à jamais aux yeux des gens qui l'aiment comme moi.
J'ai presque tout lu de cet auteur, sauf ses récits pour la jeunesse. Ce seront mes prochaines escapades.
Ce que j'aime en lui, je l'ai retrouvé ici dans ce qu'il nous offre comme confidences.
Une rage de vivre, une rébellion contre les règles, les conventions, contre les murs, une manière sensuelle de parler des femmes, du désir, du soleil de
Provence qui dégringole sur des gestes épris de désirs dans le bord d'une calanque, on pourrait presque en rire, trouver cela ridicule, désuet, insupportable, mais dans les mots de
René Frégni, cela se mêle à autre chose aussi : celle d'un enfant fugueur, rebelle, fragile, qui a toujours entrelacé ses pas avec l'école buissonnière, - sécher les cours, danser le be-bop avec les filles, voler des vêtements dans les magasins des quartiers riches -, et plus que jamais son amour incommensurable pour sa mère.
Est-ce cet amour pour cette mère toujours fidèle et présente qui a su le protéger de la prison ? Est-ce la rencontre avec un aumônier alors qu'il était enfermé dans une cellule durant son service militaire à Verdun, cet homme qui lui tendit un jour une main fraternelle et dans cette main il y avait un livre de
Jean Giono ? Et de cette main généreuse coula brusquement dans le coeur de
René Frégni le cours de la Durance, le bruit des collines,
le chant du monde... Ce n'était rien d'autre qu'un chemin. Mais c'était déjà un chemin...
Ce qu'il dit alors est très fort, lui enfermé à cet instant-là dans une petite cellule de quelques mètres carrés, il évoque les mots, les livres, ceux qui nous enchantent nous lecteurs sans parfois en prendre conscience, il évoque ces livres qui peuvent abolir les barreaux, les murs, la cour d'une prison... Plus tard il saura s'en souvenir lorsqu'il deviendra animateur d'ateliers d'écriture aux Baumettes durant près de trente ans.
D'autres livres sont venus plus tard dans son univers et ont continué de sauver l'écrivain, le protéger peut-être du désastre du monde.
L'étranger d'
Albert Camus,
Voyage au bout de la nuit de
Louis-Ferdinand Céline, mais aussi
Crime et Châtiment de
Fiodor Dostoïevski. Comme moi il avait envie de se préoccuper davantage du sort de Raskolnikov que de cette vieille et avare usurière si détestable.
René Frégni rend ici hommage à la puissance d'évocation des grands auteurs classiques qui savent nous métamorphoser tour en tour en Meursault, Raskolnikov, le grand Meaulnes,
Josef K.,Bardamu... Mais aussi Anna Karénine, Emma Bovary, Jane Eyre... Nous voici plongés dans leurs têtes par la magie de l'écriture.
Dans ses déambulations, j'ai aimé la rencontre de cette jeune femme Julia, dont l'amour vient s'étreindre avec la découverte d'un livre qui lui restera inoubliable, Cent ans de solitude.
Ces romans ont empli son coeur de battements d'ailes d'oiseaux, de rivages, de ciels, même si l'appel du large, les cavales, les rebuffades contre l'ordre établi ont continué de hanter notre minot marseillais et de le jeter sur les routes comme un vagabond, un hors-la-loi, un déserteur, un fugitif aux semelles célestes.
Je me suis demandé, à quoi tient la rédemption d'un homme voué à être perdu, écrasé, broyé comme des enfants qui naissent mal, grandissent mal. Mais lui
René Frégni était pourtant bien né, pourtant aimé, choyé par sa maman, celle qu'il chérissait plus que tout au monde et qui le chérissait tout autant.
Je me souviens d'avoir rencontré
René Frégni un après-midi d'août 2020, chez lui. Je passais mes vacances tout près de Manosque. Je rêvais de le rencontrer et je ne savais pas comment m'y prendre, je faisais confiance au hasard, m'étant rendu à Manosque, sur cette petite place où je supposais qu'il habitait encore, qu'il venait fréquenter le bar que je voyais là en face de moi. J'avais même questionné un peu gêné la pharmacienne tout près de cette place, elle m'avait dit qu'elle le connaissait très bien, qu'il habitait justement dans l'appartement d'un immeuble donnant sur cette place, mais qu'elle ne l'avait pas vu depuis longtemps... Je regardais chaque nom inscrit aux portes des immeubles, sous les porches, à l'entrée des cours, en vain...
Puis j'ai tenté de le contacter par les réseaux sociaux, sur sa page Facebook, je me souviens qu'il m'a répondu une demi-heure plus tard, me disant qu'il n'habitait plus Manosque, mais plus près de l'endroit où je séjournais, à Vinon-sur-Verdon où il me donna rendez-vous deux jours plus tard.
Je me souviens que la maison où je me rendis était entouré d'amandiers. C'était la maison qui avait appartenue au vieux Lili, le papa d'Isabelle,
la fiancée des corbeaux.
Le fameux chat Solex était là, plutôt farouche, plus encore que dans le livre où je l'avais rencontré. Lorsqu'il prononça le nom de Solex, je m'étais étonné, il m'avait alors dit qu'il n'inventait rien dans ses romans, tout était présent, inspiré sous ses yeux.
La fiancée des corbeaux aussi était là, telle que je l'avais imaginée lorsqu'un jour je me suis demandé si elle existait vraiment. Mais oui elle était bien réelle elle aussi. Il m'invita courtoisement dans le salon, m'offrit un thé, j'étais intimidé et je crois bien qu'il m'a un peu aidé à me rendre à l'aise.
Les mots sont venus très vite. Tout ce qu'il m'a dit cet après-midi-là, tous ses mots, je les retrouve intacts, réels, solaires ici dans ce livre. Cette conversation, cette confidence qui n'en fut pas une vraiment, sauf peut-être à travers nos regards lorsque nous avons évoqué nos mères respectives, celle que je venais de perdre. Je lui avais dit qu'un de ses livres,
Elle danse dans le noir, m'avait aidé à la retrouver. Éternellement. À ne jamais la perdre. Je crois bien qu'il avait été touché par cette révélation. Il m'a évoqué alors des mots que je n'oublierais jamais, qui font que je n'oublierai jamais cet instant d'un après-midi d'août, à l'ombre des amandiers de son jardin, le jardin et la maison de Lili qui avait perdu la mémoire, désormais la maison de
la fiancée des corbeaux qui abritait mon ami
René Frégni et son amour, son aimée, celle qui s'appelle Isabelle dans ses romans. Cette maison qui abrita durant près de trois heures, notre conversation intime, dérisoire, drôle, touchante aussi...
Je me souviens aussi que nous avons parlé de
Jim Harrison, notre passion commune pour cet auteur américain, d'un moment que m'évoqua
René Frégni lors du Festival des Étonnants Voyageurs où
Jim Harrison, totalement ivre, subjugué devant un spectacle de danseuses brésiliennes, se leva de sa chaise en plein repas pour monter sur la scène, toutes les danseuses s'envolèrent aussitôt comme des abeilles affolées sauf une que le vieux Jim vint étreindre dans ses grands bras de sioux plus comme un père qu'autre chose...
René Frégni reconnut que
Jim Harrison ne donna pas dans l'élégance ni dans le respect ce soir-là. Peut-être avait-il cru reconnaître en elle la fameuse
Dalva...
Nous avons forcément parlé aussi des prisons, des bandits qu'il avait accompagnés aux Baumettes, leur tendant un cahier, un stylo, une manière pour eux de s'évader...
Je me suis rappelé alors ses livres, ces pages qui me parlaient de l'automne, du printemps qui soulevait la terre, du désir qui surgissait des ruines de l'hiver, des pierres vertes des rivières où l'été il faisait bon marcher pieds nus. Je me souviens du printemps qui se faufile dans ses mots, la vision d'un vol de mésanges bleues. Je me souviens alors avoir pensé que la sagesse des oiseaux était sa manière de tenir debout. Je le pense encore...
Beaucoup de ses livres parlent de l'incarcération. Ces mêmes livres parlent autant de liberté.
L'auteur nous dit que la lecture peut agrandir la cellule d'un détenu.
Si un jour je parviens à réaliser mon rêve d'adolescent que je suis encore, celui d'animer des ateliers d'écriture en prison, ce sera grâce à lui.
Mais surtout ses livres parlent de femmes et d'hommes, d'humanité.
" J'essaie de retrouver, avant de m'endormir, toutes ces femmes et ces hommes que j'ai croisés, ces fantômes agités ou silencieux qui ont glissé devant mes yeux, comme des barques dans la nuit. "
Minuit dans la ville des songes est un peu le prolongement de notre conversation.
Merci à toi, cher René.
" On écrit toujours pour quelqu'un, un frère lointain, une amoureuse, une maman. "