«
L'appel du Hoggar » est écrit par
Roger Frison-Roche et édité chez Flammarion en 1936. Dédié au capitaine Raymond Coche (chef de l'expédition alpine française du Hoggar en 1935) et à ses compagnons de piste, cet ouvrage de 140 pages est illustré de croquis et de photographies de l'époque, en noir et blanc ou en sépia. Vulgarisant la documentation technique, touristique et littéraire disponible sur cette partie du monde, ce livre a l'ambition de présenter aux lecteurs une région encore peu connue du public et de leur faire partager une tranche de vie réelle, émouvante et merveilleuse. de mon point de vue, cet objectif est largement atteint !
Guide et alpiniste renommé,
Roger Frison-Roche est choisi pour faire partie d'une expédition, en plein Sahara, dans les massifs de la Tefedest et du Hoggar. Embarqué en pleines solitudes sahariennes, vivant au gré de ses rêves à travers le désert,
Roger Frison-Roche, mandaté par le Club Alpin Français et par le Gouvernement Général d'Algérie, doit escalader avec ses hommes quelques-uns des plus hauts sommets de ces massifs, faire des études sur la faune, la flore et les roches, puis revenir avec une documentation photographique et cinématographique.
Pendant trois mois, les hommes vont cheminer, accompagnés de Touareg, de méhara et de chameaux de bât, partageant la vie nomade du Saharien, escaladant des parois brulantes, friables et inviolées, forçant au péril de leurs vies nombre de passages délicats, et découvrant des sites improbables et magnifiques. Durant cette expédition pleine de vie vagabonde et de fatigues communes, les hommes sont à l'unisson : hors du temps et de l'espace, sous le vernis de la civilisation, ils laissent battre leur coeur et leur émotion devient sincère pour des choses simples, éternelles, infinies et apaisées, avec en prime la reconnaissance profonde de la qualité et de la « noblesse des Touareg du Hoggar, seigneurs de grande race ».
Pour ces hommes aguerris et rompus aux aventures alpines, le choc est brutal. Ils ne savent plus (page 15) s'ils sont sur Terre ou s'ils foulent le sol d'une planète inconnue. Et la nouveauté est partout : traces d'ensablement dans le fech-fech si redouté des automobilistes, villes fantômes, palmeraies surgies on ne sait d'où et se balançant sous le vent du sable, végétation rare et maigre, plateaux noirs et pierreux (page 19) avec de vastes coupoles semblables à de gigantesques carapaces posées à même le sol, squelettes de chameaux et tombes musulmanes de part et d'autre de la piste, des tempêtes de sable qui épuisent les hommes, et parfois, dans ce désert, un trou dans le sable, avec l'eau, trouble et boueuse, à six mètres de profondeur, l'eau, ce synonyme de vie. Dans cette inhumanité où tout est cuit, calciné et brûlé, les locaux, goumiers des Compagnies Sahariennes et Touareg, se meuvent fièrement, élégamment, avec leur fusil en bandoulière et (page 19) leurs cartouchières pleines à craquer s'étalant sur la poitrine. Un code régit leur vie de nomade : une économie de paroles et de gestes, le feu qui jaillit d'un amas de racines desséchées, le rituel du thé, des repas rapides, une progression à allure réduite dans un sable surchauffé qui rend la marche pénible, le partage, l'admiration et le respect mutuel, des prières et des incantations qui s'envolent dans la brise. Pour ces hommes, tout gravite (page 26) autour de deux éléments, à savoir l'eau pour les hommes et des pâturages pour les chameaux et les méhara. Des légendes courent les campements, et dans l'obscurité, au milieu (page 54) des vagues de pierre figées pour l'éternité, les rochers et l'ombre des hommes prennent parfois des formes fantasmagoriques. Une vie simple : coucher dehors, se lever avec le jour et monter sa bête. Au zénith, l'air se met à vibrer et la moindre parcelle d'ombre est la bienvenue. L'aridité des lieux cache soigneusement les traces de vie : oliviers rabougris, lauriers roses, touffes d'herbe rase et drue, vipères à corne près des points d'eau, chacals s'appelant à travers la montagne, guépards tapis dans le creux d'un canyon, vautours blanc traçant des cercles au-dessus des hommes, mouflons aux yeux jaunes se jouant des alpinistes et sautant de rochers en clochetons, bergers gardant leurs chèvres. Dans cet univers tourmenté et impitoyable,
Roger Frison-Roche et ses hommes partent à la conquête de la montagne ; ils affrontent l'ennemi en face. Il leur faut franchir barrières, obstacles, bastions, arêtes souvent inaccessibles et délitées, pyramides d'éboulis aux éclats métalliques et surplombs compacts alors même que les cartes dont ils disposent sont avares de détails.
Pour cette aventure humaine à la gloire des conquérants de solitudes vierges ou abandonnées, pour cet ouvrage superbement écrit et ses illustrations magiques, pour les touches de poésie qui parsèment les pages, pour ce suspense qui tiendra le lecteur en haleine jusqu'à la fin, je mets quatre étoiles, n'en déplaise à ceux qui trouveraient l'ouvrage suranné ou que le long descriptif des ascensions ennuyerait.