Gaétan Soucy, c'est une découverte, une très belle découverte.
Gaétan Soucy, c'est cet auteur canadien qui écrivait : " les mots sont mes poupées de cendre" ou bien " la pluie tombait la tête en bas comme des clous".
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La petite fille qui aimait trop les allumettes - est un conte qui a été qualifié de métaphysique, et il est vrai qu'on peut le lire sous cet angle... ou (et) sous d'autres encore.
Avant de vous en exposer les contours, je voudrais dire deux choses.
La première, c'est que je suis rentré dans cette lecture comme je serais rentré dans un jardin extraordinaire où l'écriture est libre, merveilleusement déconcertante et où les mots sont des créatures magiques et merveilleuses qui ne finissent jamais de nous étonner, de nous surprendre, de nous émouvoir et de nous enchanter.
La seconde, c'est que je vais, exceptionnellement, déroger à ma règle qui veut que mes présentations ne soient faites que de ce qui s'écoule de ma plume et de l'encre de mon coeur dans lequel celle-ci a trempé après lecture.
Mais pour illustrer ce que je viens de dire à propos de
Gaétan Soucy, il ne m'a pas paru faire offense aux règles de la critique en faisant appel à un renfort explicatif et lexical. Mais vous jugerez le moment venu.
Dans une propriété isolée, le corps nu et pendu d'un père est découvert au petit matin par ses deux enfants, deux adolescents, ses "deux fils", qu'il a élevés coupés du monde, de manière tyrannique, leur enseignant "les lois de Dieu".
N'ayant jamais eu de contacts avec le monde extérieur et leurs semblables, que vont-ils devenir et quels mystères entourent leurs étranges existences ?
L'histoire nous est racontée par "l'un des deux fils", le "secrétarien", dans un sabir autodidacte, poétique, drôle, touchant, qui m'a tenu sous son emprise le livre durant.
Je vais faire appel à présent à mon renfort afin de vous offrir les clés de l'univers de
Gaétan Soucy, non sans avoir insisté sur le fait que ce bouquin est une parure de pierreries rares dont vous auriez tort de vous priver.
Un bouquin que j'ai adoré et que je vous recommande !
"En effet, c'est par la langue – hybride, composite, incohérente – de la narratrice que le lecteur est amené à déceler son mal-être, et celui du milieu dans lequel elle vit. Usant tantôt d'une syntaxe soutenue, toute modelée de verbes défectifs, d'inversions précieuses et de subjonctifs imparfaits (« il nous échoyait », « pour en bien conférer », « des dépendances dont point ne parlerai », « sans que j'osasse », « avant que nous nous endormissions », « de la façon susdite », etc.), voire de tours archaïsants (« j'étais bien marri », « m'en cuidez », etc.) ou même de médiévismes (« heaume », « chanfrein », « houppelande », « marotte », etc.), tantôt d'un lexique riche et recherché (« aiguillonner », « turlupiner », « tarabuster », « sourdre », « darder », « arguer », « appétence », « célérité », « horions », « circonspection », « inexorable », « cauteleux », « sardonique », « conjuratoires », etc.), voire spécialisé (« dosse », « larmier », « souquer », « myriapodes », etc.), sans parler, bien sûr, des termes chargés d'une connotation religieuse (« oindre », « obole », « pitance », « stigmates », etc.), la narratrice usera également de termes argotiques plus ou moins recherchés (« dingue », « bougne », « mariole », « bourrichon », etc.), d'expressions populaires (« ça parle au diable », « minute papillon », « misère et boule de gomme », « j'ai pour mon dire », « vrai comme je suis », etc.), voire d'expressions joualisantes (« quêteux », « bouette », « bedaine », « ou bedon », « retontir », « garrocher », « grafigné », « effoirer », « écrapouties », « au plus sacrant », etc.), souvent ponctuées de marques d'oralité se manifestant par diverses interjections (« ah la la », « oh la la », « prrrou pou-pou », « aaaaaaaaaah », « et hop », « bah », « peuh », « beurk », « ouille », « tss », « et zou », « fichtre », « et vlan », etc.), tombant même quelquefois dans un registre grossier ou vulgaire (« crotte », « couille », « bite », « pute », « ça ne va pas chier loin », « il s'en bat le trou », etc.).
Usant donc d'archaïsmes (« dextre », « jouxter », etc.), la narratrice usera aussi de néologismes (« titilloter », « déguerpisser », « figette », « grelotte », « ramentevances », « remembrances », « emmarmelade », « incompréhensiblissime », etc.) relevant de l'impropriété ou du barbarisme (« journée désemparante », « étoiles inerrantes », « langue bifurque », « poignet taveleux », « sens cahoteux », « gelé mauvassônne », etc.) plutôt que d'une forme de bérénicien (« chaise en crottin » pour « chaise en rotin », « souille à cochon » pour « soue à cochon », « suintement de sa saucisse » pour « sperme », sans parler du mois « d'ovembre » et autres « trente-treize » ou « quarante-douze »,), pour preuve les nombreuses expressions erronées ou tronquées (« le coeur en chamaille », « il y a lurette », « comme une goutte d'eau », « clair comme la roche », etc.) et l'absence de noms propres (le frère s'appelle « frère », le cheval « cheval », le chien « chien », etc.). La narratrice se questionnera d'ailleurs sans cesse sur la justesse de sa prose (« je dis la chose comme elle est », « c'est comme ça qu'on dit il me semble », « ça s'appelle [ainsi] si ma mémoire est bonne », « comme ça se nomme », « je ne sais pas si je me fais bien comprendre », etc.) et ne perdra jamais de vue son lecteur (« il faut d'abord que je vous parle de… », « si vous voulez mon avis », « je demanderais qu'on soit bien attentif », « c'est à cela que je voulais en venir », etc.). Au reste, elle ne recourra jamais – comme l'impose la règle – aux majuscules pour les quelques noms propres qui l'exigeaient – « la maison de monsieur soissons », « le royaume du danemark », « le japon », « chopin », « pascal », « spinoza », « saint-thomas », « jésus », « dieu », etc. – sinon que pour nommer le « Juste Châtiment »."