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Corinna Gepner (Traducteur)
EAN : 9782859407193
160 pages
Phébus (16/03/2001)
4.12/5   4 notes
Résumé :
Un homme erre dans Prague à la recherche de quelque lumière : sur sa vie, sur le monde, sur lui-même. Il n'a guère plus de vingt ans mais la mort loge déjà en lui, malgré l'amour de la blonde Zdenka et de quelques autres. Dégoûté par le monde et les êtres qui le peuplent, il s'applique à noyer son chagrin parmi les clients de la taverne de L'Araignée, dont le patron rêve d'anéantir l'humanité.
Roman exemplaire de la haine de soi, Marche dans les ténèbres (191... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Jamais titre de livre ne m'a paru autant coller parfaitement à son contenu que celui-ci !
J'ai été subjugué par le récit inquiétant et sombre de ce roman, et la plume de grande qualité de l'auteur que j'ai trouvée étonnamment comparable à celle de Kafka !

L'auteur de « Marche dans les ténèbres », Paul Leppin (1878-1945) est natif de Prague comme Kafka, et comme l'auteur du « Château » il a passé le plus clair de son temps dans d'obscurs bureaux et le reste à errer par les rues de Prague, à fréquenter la même bohème, et manifester une incapacité à vivre.
L'oeuvre de Paul Leppin n'est pas très abondante. Prague en est le centre omniprésent, un Prague sulfureux, canaille, où la couleur noire est dominante. Un Prague où les prophètes de trottoir, les anarchistes poseurs de bombes et les poètes sans public crachent à la face de la Belle Epoque !

Voici ce que Max Brod écrit à son sujet dans son autobiographie datant de 1964 : « Leppin avait été littéralement élu pour chanter le vieux Prague qui s'éteignait alors dans les douleurs, avec ses ruelles malfamées, ses nuits de beuverie, ses vagabonds, ses saints pompeusement baroques à la religiosité suspecte… ». Brod écrivait aussi que cet imaginaire ne s'était jamais donné aussi libre cours que dans les pages de « Marche dans les ténèbres », les premières surtout, « écrites à la manière simple et vraie de Kafka ». Et de conclure : « Il fut une sorte de Baudelaire germano-tchèque. Mais privé de tout espoir de rédemption. »

Parler de Paul Leppin impose aussi d'évoquer la figure de Gustav Meyrink, le fameux auteur du Golem, qui fut pour lui un ami et un maître, à ceci près qu'au mysticisme déjà bien sombre de Meyrink, Leppin substitue une ténèbre dépourvue de la moindre lueur d'espoir.

Paul Leppin ne croit pas à la réalité. Il ne croit pas au réel. Ne l'intéressent, chez les passants croisés au gré de ses déambulations entre chien et loup, que les rêves ou les obsessions qu'il croit deviner à la traîne d'une silhouette entrevue. Severin, le personnage principal de ce roman est bien ainsi. A à peine vingt ans, il arpente la ville chaque nuit en quête d'amour et de vices.
Il erre et rêve, convaincu qu'il est, que l'action n'est qu'un dérivatif destiné à empêcher d'y voir clair et de nous rendre compte que ce monde où nous nous débattons, n'est qu'un grand songe. C'est un être blessé qui marche dans la ville, et ses pas cherchent à donner un élan à une existence fatiguée d'elle-même et du monde.

Alors qu'il est si jeune, la mort semble déjà l'habiter. Il est dégoûté par le monde et par la plupart des êtres qui le peuplent et qui font si mal semblant d'exister, et il balance au gré des rencontres entre le désir de meurtre et la tentation du suicide.
Le quotidien l'accable. Il cherche en vain l'Amour auprès de toutes les femmes : auprès de Suzanne, la fille d'un bouquiniste expert en ouvrages licencieux, auprès de Karla, une chanteuse qui a perdu la voix… L'amour que lui porte la blonde Zdenka, un ange de patience, va un moment l'aider à croire qu'une consolation est possible ici-bas, mais il va vite déchanter et noyer son chagrin parmi la clientèle bizarre qui hante la taverne de
« L'Araignée », dont le patron est un collectionneur de bombes qui rêve d'anéantir l'humanité.

Dans cette taverne où l'on célèbre la haine de l'humanité, Mylada, une jeune nonne qui fait goûter à Severin les griseries de l'amour, va se déclarer être prête à appartenir au vainqueur d'une tombola proposée par un des habitués des lieux… Severin gagne au jeu la nonne prostituée. Il veut la tuer. Mais il ne parvient ni à la posséder, ni à s'en défaire. Alors, "une honte mortelle le jeta au sol. Il s'agenouilla et posa sa tête sur les genoux de la jeune femme. Les sanglots le submergèrent et il se mit à pleurer. Mais le rire des ivrognes lui passa sur le corps et changea ses larmes en une fange sale et brûlante".

Severin répond à l'appel des ténèbres ; il court à sa perte, "incapable d'accomplir un acte ou d'avoir une pensée qui ne fussent liés au plaisir masochiste avec lequel il savourait sa souffrance et la renouvelait, encore et encore".

Ce récit « baudelairien » d'une errance désespérée à travers les rues de Prague m'a tout à fait séduit par sa beauté. Il y a dans les pages de « Marche dans les ténèbres » une sorte de surréalisme qui envoûte. C'est plein de décadence et de fébrilité. C'est nihiliste, mais très étonnamment, le récit parvient à transmuer en sombre beauté l'insupportable. C'est un récit qui est en même temps profondément musical dans sa composition comme dans son phrasé.

Je trouve assez incompréhensible qu'un tel auteur talentueux n'ait été que tardivement redécouvert et qu'il n'ait été traduit en français et édité qu'au début des années 2000.
Si vous aimez lire Kafka, n'hésitez pas, faites vite connaissance avec la superbe plume de Leppin !
5/5 !
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
« Singuliers furent les sujets qu’ils abordèrent. La rage aveugle et haineuse de la solitude brûlait dans la voix de Nathan, le poison y bouillonnait, qui ravage le cœur des infirmes et des fous : la haine du monde. L’absence rageuse de foi en la bonté et la splendeur des choses, l’ironie implacable d’un arrogant impie prêchaient par sa bouche, qui se mouillait tandis qu’il parlait. Sur ses lèvres flottait un tremblement qui venait du fond de son âme. Avec un toussotement sec, il se pencha vers Severin en chuchotant :
-Nous qui venons de Russie, nous sommes tous un peu chimistes. Chez moi, j’ai des boîtes d’explosifs et des machines qui feraient sauter toute une rue, si je le voulais. Mais c’est là du travail d’amateur. Il y a de meilleurs moyens, plus subtils, qui ont l’accord de la police et l’autorisation de la loi.
Etes-vous déjà venu dans ma taverne ?
Severin frissonna. Il regarda dans les yeux gris et rusés de Nathan et comprit le personnage tout d’un coup, sans plus ample explication. Il fut pris de peur devant cet homme qui partait à la chasse aux âmes, sans que personne le soupçonnât. »
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