"Un jour ils sont là. Un jour, sans aucun souci de l'heure.
On ne sait pas d'où ils viennent, ni pourquoi ni comment ils sont entrés. Ils entrent toujours ainsi, à l'improviste et par effraction. Et cela sans faire de bruit, sans dégâts apparents. Ils ont une stupéfiante discrétion de passe-muraille.
Ils :
les personnages".
C'est par ces mots que commence cet essai de
Sylvie Germain. On pourrait discuter le terme d'essai, mais ce texte est de toute façon difficilement qualifiable. Essai, réflexion poétique, recueil de fragments sur le processus de création avec comme clef de voûte le personnage... ou tout ça à la fois. Ce n'est pas très important.
Ce qui l'est, en revanche, c'est le choc que j'ai reçu en le lisant. Je ne vous mens pas. Je me suis dit des choses comme« cette
Sylvie Germain est une grande... elle a tout compris... », tout capté de ceux qu'elle appelle « les suppliants muets », (comme dans la tragédie grecque, le suppliant est celui qui vient, envoie des signes. le personnage aussi. Il ne dit rien. Se manifeste en silence ), « dormeurs clandestins » qui sommeillent dans nos têtes, émergent de nos songes pour réclamer de vivre par l'écriture...
« [Le personnage] veut naître au langage, s'y déployer, y respirer. S'y exprimer» écrit
Sylvie Germain. C'est vrai et c'est magnifique.
J'écris. Modestement mais j'écris. Et je trouve passionnant de créer un personnage, de le sentir monter en soi tout doucement, silhouette floue qui devient corps... Il est d'abord de dos,« avance masqué », plein de promesse et du bonheur d'écrire à venir... mais ce n'est pas si simple. ça fait souvent mal. Celui qui écrit est maso, on le sait bien. Il recommencera malgré la douleur.
Le personnage est le meilleur ami de l'écrivain mais aussi son pire ennemi.
il se dérobe, s'échappe, et s'il consent à se laisser saisir, c'est pour obliger l'écrivain à se remettre en question. Eh non, il ne sera pas celui qu'il aurait dû être. Tout le contraire peut-être. Il bouscule nos certitudes et notre façon d'écrire. La création d'un personnage est fluctuante, incertaine.
Elle est magique.
Elle dit tout cela,
Sylvie Germain, dans une langue d'une grande beauté. Elle dit tout de la joie d'écrire et de la souffrance de la plume tarie, de l'amour et de la colère qu'on peut ressentir envers ce « fort rebelle » qui nous intime l'ordre de fouiller en nous, en profondeur, pour le faire naître. le personnage nous force à nous découvrir. Ecrivons et voyons ce qui se passe... Pour lui et pour nous.
Je trouve ça palpitant. Une expérience à nulle autre pareille.
Il faut lire ce merveilleux petit ouvrage, exigeant parfois, mais indispensable pour toute personne aimant l'écriture, ou simplement intéressé par le travail de création. Cerise sur le gâteau,
Sylvie Germain illustre et conclut son propos par deux très belles nouvelles.
Vraiment un régal.
"Il y a de la douceur dans la visite impromptue d'un personnage - celle de la possibilité d'une histoire à découvrir, d'une surprise, donc.
Il a y éveil de la curiosité, relance du désir de se colleter avec son propre imaginaire, avec sa langue. Il y a de la jubilation dans la perspective de partir, ou de repartir à l'aventure dans les géographies aussi vastes qu'accidentées du langage. Il y a quelque chose de l'émoi et de l'allégresse au tout début d'une rencontre amoureuse. On ne sait pas où l'on va, mais on a une folle envie d'y foncer.
Il y a une obscure volupté dans ce jeu de séduction. le personnage ne s'offre t-il pas en nourriture? Tiens, mange !"Mange mon image, croque la promesse littéraire que je suis, déguste les mots exquis dont je suis imprégné, savoure le sens dont je suis chargé..." semble traîtreusement suggérer le personnage.
Et puis, c'est aussi un formidable soulagement (...) On entrevoit quelques beaux jours d'encre devant soi. Alors on avale avec avidité le personnage qui s'avance masqué en promesse de jouissance d'écriture."
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