Excellent. Pour les mordus de la pêche à la mouche.
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Le problème majeur est la difficulté à s'habituer au langage politique dans lequel on se retrouve plonger. Quand vous abordez un bureaucrate avec une idée en tête, il vous regarde droit dans les yeux, vous sourit aimablement et se dit: Cette affaire peut-elle m'apporter quelque chose à moi, et dans le cas contraire, comment me débarrasser de ce type au plus vite? Si c'est un policticien, il se dit: Comment faire, sur cette question, pour être à la fois pour et contre? sans se rendre compte qu'en étant des deux côtés à la fois, il va finir par se battre lui-même.
Un jour, alors que nous garions notre pick-up au bord d'un lac, un homme parut déconcerté devant notre équipement rudimentaire. Il s'approcha nonchalamment, les mains dans les poches, nous observa descendre le bateau à l'eau, puis demanda:
-Pas de moteur?
-Non.
-Pas de moteur du tout?
-Pas de moteur.
-Juste des avirons?
-Ouais, des avirons et une perche.
-Vraiment?
-Vraiment.
-Bon, ben, ok.
Le lendemain, la batterie de son moteur de traîne tomba en panne et, comme il n'avait pas de pagaie dans son canoë, il dut se faire remorquer au bord du lac. Nous ne dîmes pas un mot. C'était inutile.
De fait, Mike correspond à la définition du "vrai pêcheur" selon Tom McGuane: quelqu'un qui bosse dur pendant ses heures de travail et qui pêche tout aussi dur lorsqu'il est en congé. Il nous arrive de nous retrouver pour le café du matin avant de partir pêcher. De mon côté, je sors d'une bonne nuit de sommeil, tandis que Mike a juste eu le temps de se doucher et d'embarquer son matériel après avoir travaillé toute la nuit.
Il sera fatigué mais motivé (vous ne remarquerez pas la fatigue si vous ne le connaissez pas) et je risque de le retrouver endormi plus tard dans la journée, mais jamais quand la pêche est bonne. Si le rythme faiblit et que je perds sa trace, il est facile à repérer à ses ronflements. On dirait un raton laveur en train de manger un poulet vivant.
Un jour, un type s'approcha de moi dans une boutique de pêche et me demanda combien de temps il fallait pour devenir vraiment bon. (Il pensait peut-être que je travaillais là-bas ou peut-être avais-je simplement l'air du vieux pêcheur qui sait ce genre de choses. ) Je dis:
-Dix ans, si vous pêchez trois ou quatre fois par semaine.
Son visage se décomposa. Il pensait une ou deux semaines, max. Le visage de l'employé qui était en train de l'inscrire à un cours quelconque se décomposa aussi légèrement. Je tentais de me rattraper:
-Enfin, c'est le temps qu'il m'a fallu à moi, mais on ne m'a pas beaucoup aidé.
Quand j'étais gamin, je voulais devenir un de ces hommes calmes et imperturbables rompus à la vie au grand air; vous savez, ces types grisonnants avec des chapeaux défoncés qui n'étaient jamais surpris et qui ne paniquaient jamais. Aujourd'hui, j'ai les cheveux et le chapeau, mais à part ça j'ai toujours quatorze ans, et je soupçonne qu'il en allait de même pour eux à l'époque: ces maîtres d'impassibilité à l'extérieur étaient des désastres d'incertitude juste sous la surface.