Eloge du père qui m'assassina

Quand j'étais gamin, il me racontait avoir suivi le petit séminaire au sortir de la guerre. Six mois chez les frères trappistes. Je m'imaginais une ville souterraine verrouillée par une trappe en bronze, des moines priant le long de galeries qu'éclairaient des cierges enfoncés dans les crânes des martyrs. Je bénissais le père supérieur qui avait sorti mon géniteur de cet enfer. Il l'avait convoqué un soir dans sa cellule pour lui ordonner de les quitter sur-le-champ. A mon père qui s'étonnait de cette décision, il avait eu cette réplique terrible :
- Vous avez les yeux du diable.
Ainsi rejeté, papa s'était lancé dans le monde profane avec le poids de son regard démoniaque.