Le philosophe et sociologue italien, Giuliano da Empoli, né à Neuilly-sur-Seine en 1973, part dans cette relativement courte monographie d'une cent-cinquantaine de pages du constat que les années quatre-vingt-dix avec la victoire de la raison et de la technique nous assuraient un monde meilleur de paix et de progrès.
Puis, l'attentat du 11 septembre 2001 du World Trade Center de New York, la guerre des Balkans, l'arrivée de personnages comme Berlusconi, Erdogan, Trump,
Xi Jinping... sur la scène politique, la commercialisation des médias, la radicalisation par le biais des réseaux sociaux, ĺ'obscurantisme prôné par la droite américaine etc. ont remis cette paix et prospérité sérieusement en question.
Il convient de remarquer que cet ouvrage a été publié bien avant que Poutine ne lance son invasion de l'Ukraine et déclenche une guerre d'usures avec le risque d'un conflit nucléaire et/ou une troisième conflagration mondiale.
L'auteur préconise un retour aux sources philosophiques, plus particulièrement la pensée de
Nietzsche, "le philosophe de l'avenir".
Pour décrire le monde depuis 2001 il se réfère à la situation actuelle au Brésil, où les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes sur terre et qui connaît un nombre de morts violentes ahurissant (50.000 en 2003) et où les villes sont transformées "en jungles paranoïaques faites de milices privées et de condominios fechados ou quartiers fermés".
Seulement, le Brésil c'est aussi le pays du "futebòl", de la samba, du carnaval et du mixage racial probablement unique sur notre globe.
Comme le note Giuliano da Empoli : ce n'est pas un hasard si
Stefan Zweig y a fui en 1940. Voir son ouvrage "
Le Brésil, terre d'avenir".
Quoique "
Tristes Tropiques" de
Claude Lévi-Strauss jette une lumière moins optimiste sur cet endroit.
Pour qualifier les modifications considérables qui s'opèrent de nos jours dans les sociétés occidentales l'auteur emploie fréquemment le terme "brésilianisation".
Il souligne ainsi qu'il "existe depuis toujours un lien fort entre la tragédie et le carnaval, entre
la peur et l'hédonisme, entre
la peste et l'orgie" (page 124).
Da Empoli ne se contente pas de simplement lancer une telle affirmation, il l'illustre tout au long de son essai par une multitude d'exemples concrets et des renvois à la philosophie et la littérature mondiale.
Il est vrai que l'auteur dispose d'une érudition qui laisse rêveur et voit des rapports entre données et événements insoupçonnés.
C'est cela qui constitue la grande valeur de cette étude.
Il va de soi qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage à lire sur une terrasse de bord de mer. Il demande une certaine dose de concentration, mais vous serez largement récompensé par la richesse du texte.
Ce livre, avec le tableau de Picasso "Bacchanales" en couverture, est absolument de la même qualité que son excellent "
Les ingénieurs du chaos", que j'ai chroniqué le 12 septembre 2019.
Pour finir, je cite une constatation de l'auteur à la page 68 : "Jusqu'à il y a pas longtemps, on se comparait aux voisins. Aujourd'hui, on se compare aux VIP..."