Il se rend au temple en secret par des chemins buissonniers. (...) Puis le voilà dans la foule au beau milieu d'une cérémonie. Mais liturgie n'est pas communion. Il est maintenant réduit à son incognito. Il est caché par un office dont chaque assistant l'attend à l'insu de tous.
La spaciosité du temple, la vacuité des textes, l'insignifiance des mélodies écartent l'activité profane et font place au profanateur des activités. S'il voit ici ou là quelque distrait, il lui dit: Tu es en bonne voie.
L'autre, éberlué, répond: Pardon monsieur, je n'allais nulle part.
- C'est ce que je voulais dire.
S'il rencontre un attentif, il lui dit: Mon ami, tu traverses le rite. Qu'y a-t-il de l'autre côté?
- Comment? Mais je ne sais pas.
- Eh bien, c'est cela même.
Comme il a l'air d'enseigner on se met à faire groupe autour de lui. Quelqu'un lui demande: Maître, je voudrais faire des progrès.
- Grand bien te fasse, répond le maître. Puis il regarde les autres et ajoute: Demain ne contient rien de plus qu'aujourd'hui.
- Peut-on vivre sans s'attendre à rien?
- L'aujourd'hui seul est neuf.
- Alors comment s'en garder?
- Voyez l'oiseau, voyez les fleurs. A chaque jour le jour suffit.
Le ciel n'est pas ce que vous croyez, il n'est pas juge. C'est vous qui vous jugez vous-mêmes à ne pas voir vivre en vous le ciel.
Jean GROSJEAN – Dans l’univers de la Parole (Chaîne Nationale, 1956)
L’émission « Le poème et son image », par Pierre Emmanuel, diffusée le 12 avril 1956 sur la Chaîne Nationale.