Jérusalem est la ville où Myriam Harry a passé son enfance. Fille d'une Allemande protestante et d'un juif d'origine russe converti au christianisme, le français n'est donc pas sa langue maternelle. Pourtant elle le maîtrise parfaitement, les descriptions des paysages, de l'ambiance de Jérusalem et de ses alentours, sont très belles. Elle n'a pas un style réaliste mais symbolique et rêveur, les sensations sont pleines de sens, si j'ose dire. le fait que tout se passe dans cette région sacrée du monothéisme, avec tous ces noms de lieux si célèbres, renforce l'impression irréelle du texte, comme si c'était un conte. Mais un conte plus païen que chrétien, même si le héros a quelque chose de christique.
Hélie Jamain est aussi vaguement inspiré par le père de Myriam Harry, et son épouse par sa mère. Leur rencontre, leur mariage, leurs problèmes conjugaux, c'est avant tout une histoire d'amour avec ses hauts et ses bas. Bien qu'élevé par des catholiques, Hélie Jamain marque une forte attirance pour le paganisme arabe pré-biblique, il est archéologue et s'intéresse à la période du passage entre le paganisme et le monothéisme. Ce qu'il retrouve dans le paganisme c'est une sensualité perdue par le judéo-christianisme. Pour le dire clairement, il souffre du manque de rapports sexuels avec sa femme, bridée par la religion. Il aime la vie, le désir, la liberté et il a horreur des dogmes religieux qui attisent les haines.
Dans l'esprit, Jérusalem n'a jamais beaucoup changée en deux mille ans. C'est toujours le centre de toutes les confrontations religieuses. Les acteurs changent, prennent de l'importance ou en perdent, mais c'est toujours la même violence qui anime cette ville. Hélie Jamain qui se trouve à la croisée de toutes les religions, sans prendre parti, seul tolérant, devient la victime de tout le dogmatisme biblique, alors il se tourne vers une religion plus primaire, davantage tournée vers la sensualité, moins hypocrite, l'ancienne religion des Moabites.
Comme je l'ai dit, à travers cette histoire d'amour, il y a beaucoup de symboles dans la manière dont se comportent les différents personnages entre eux ou avec Hélie Jamain. Personnellement, j'ai beaucoup aimé les deux seuls amis d'Hélie Jamain : le comte Bohémond, un vieux fou don quichottesque qui se croit encore au temps des croisades, et son ami médecin tout le temps perdu dans les vapeurs du haschich. Deux grands rêveurs détachés du monde, l'un plein d'illusions et l'autre sans plus aucune.
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En attendant l'époque tant désirée pour repasser le Jourdain, il avait commencé un ouvrage colossal, La Résurrection du paganisme, où il se proposait de démontrer l'immortalité du paganisme, qui, après avoir été supplanté par le judaïsme, le christianisme et l'islam, se réveillerait un jour universellement victorieux, pareil en cela à ces monolithes, formidables gestes d'amour éternisé et qu'une pioche pouvait faire surgir intacts et impérieux des sables millénaires. Alors la civilisation retournerait au panthéisme, l'âme sceptique à la nature ; et les siècles à venir connaîtraient une religion vivante et lumineuse, n'ayant qu'un temple, l'humanité ; qu'un culte, la beauté ; qu'une doctrine, l'amour.
Un jour, il lui demanda :
— Etes-vous tout à fait heureuse ?
— Oui, répondit-elle évasivement, puisque j'aime les pauvres et les malades.
— Moi aussi je les ai aimés, mais cela ne m'a pas procuré le bonheur.
— Parce que vous ne les avez pas aimés en Jésus-Christ.
— Le Christ ! ... je l'ai cherché, mais je ne l'ai trouvé nulle part. Il n'est ni à Jérusalem, ni ailleurs.
— Il est partout ; mais vous ne savez pas le chercher.
— Sœur Cécile, voulez-vous m'aider à le chercher. Voulez-vous que nous le cherchions ensemble ?
Il s'était jeté à genoux devant elle, assise.
— Ma sœur, ma sœur bien aimée, voulez-vous que nous le cherchions ensemble ? dites, voulez-vous ?
Elle était devenue pâle, très pâle ; et ses mains tremblaient dans celles d'Hélie qui les enserrait. Ils se regardèrent jusqu'au fond de l'âme. Puis les yeux bleus et limpides de sœur Cécile se voilèrent : elle baissa ses paupières, et elle pleura doucement, sans trop savoir elle-même si elle pleurait parce qu'elle quittait Jésus ou parce qu'elle allait vers l'amour.
— Alors, vraiment, docteur, vous ne pouvez rien contre la lèpre? demanda Hélie enfoncé dans une chaise longue d'osier, sur la tour de la Tancrédia, à côté de M. d'Amenjeu, qui, maigre comme un squelette et livide comme un cadavre, savourait l'éternel oubli de son tabac vert.
Le médecin mit un temps pour répondre : le temps de revenir des pays du haschisch ; et d'une voix si incolore, si légère, si fuyante, qu'elle ne semblait, elle aussi, qu'une fumée :
— Non, rien, absolument rien.
— Voyons, docteur, je sais bien que l'on ne peut pas la guérir ; mais soulager, du moins, est-ce possible?
— A quoi bon, mon ami, soulager c'est prolonger le martyre. D'ailleurs, on finit par aimer tout, même son mal.
Restez, restez près de moi ; et surtout ne me guérissez pas trop vite. Vous voyez bien que je ne suis qu'un malade à qui l'existence a fait tant de mal; qu'un pauvre enfant, votre enfant, qui n'a plus ni volonté, ni orgueil, ni foi en dehors de vous. Faites de moi ce que vous voudrez, mais surtout ne me renvoyez pas, ne me laissez pas partir seul vers la vie.
Mais au fond, nous croyons à la même chose, puisque nous voulons le bien... Non, ce n'est même pas de mon incrédulité qu'ils me font un péché, c'est de mes sens, de mon besoin impérieux de vivre, de mes élans vers l'amour. Eux, cherchent la vérité dans la doctrine, et moi, hélas, je la cherche dans la nature. Voilà mon crime. Ah ! sans religion, combien paisible et bonne serait l'existence.
P. 240
La petite fille de Jérusalem, de Myriam Harry