"Comme un qui s'est perdu dans une forêt profonde" est le titre d'un sonnet amoureux de Jodelle, où l'Amant est perdu dans l'obscurité car seul, loin de sa Dame qui l'éclaire ; c'est aussi le titre donné à ce recueil qui rassemble l'essentiel des oeuvres poétiques de Jodelle qui ont été conservées.
Car Jodelle lui-même s'est perdu dans la forêt poétique de la postérité pourrait-on dire, il n'avait pas fait publier ses oeuvres de son vivant, les dictait parfois sans même les écrire. La Pléiade est le nom d'une constellation, Jodelle en était l'étoile noire, ou l'étoile naine, celle qui était peu reconnue, à son époque comme aujourd'hui. Je connaissais à peine son nom, et je remercie l'émission Poésie et ainsi de suite de France Culture qui m'a donné envie de lire cet ouvrage.
Je ne vais pas donner de commentaires savants, j'en serai incapable. Mais j'ai ressenti toute son originalité, sa singularité, même sur un thème qui peut sembler éculé, le sonnet pétrarquiste. Oui, sa poésie célèbre l'amour, oui, c'est une poésie humaniste pleine de références à l'antiquité, mais ce n'est pas une ode à une femme et à son corps, il n'y a pas la sensualité voire l'érotisme joyeux, grivois mais toujours solaire pourrait-on dire de
Ronsard, pour comparer avec ce que je connais mieux. Non, "la forêt est profonde" chez Jodelle, la couleur dominante est le gris - voire la nuit. La Dame est ainsi plusieurs fois comparée à Diane, déesse de la lune, dont une des formes est Hécate, la déesse souterraine. Ce n'est pas une relation heureuse, l'amant n'a que peu d'espoir, peu de bonheur. C'est une relation marquée par la souffrance, l'amour devient quasiment une torture : "Amour vomit sur moi sa fureur et sa rage", ou plus loin l'Amant se présente comme une "victime menée au sacrifice". Dans tous ses sonnets amoureux, il semble finalement que le véritable amour du poète, sa muse, se soit moins la Dame que la Poésie elle-même. L'idée revient plusieurs fois, il écrit parce qu'il aime écrire, pas parce qu'il aime. D'ailleurs, un des rares sonnets au ton plus léger, placé de façon révélatrice dans l'ensemble du "Contr-Amour" exprime toute la puissance poétique : la Dame n'est pas blonde, mais les vers l'ont décrite ainsi : "Combien de fois mes vers ont-ils doré / Ces cheveux noirs dignes d'une Méduse ? / Combien de fois ce teint noir qui m'amuse, / Ai-je de lis et de rose coloré ?".
La puissance de l'écriture, la foi presque dans la puissance des vers, se retrouvent dans les autres sonnets. J'ai moins apprécié les "sonnets de circonstance", des poèmes de cour écrits sur commande ou du moins pour plaire, qui célèbrent de façon plus attendue la famille royale, ni les "sonnets politiques et polémiques", des poèmes de cour, écrits sur commande ou du moins pour plaire. Il est vrai qu'il faut connaître le contexte très particulier du début des guerres de religion du XVI ème siècle pour comprendre les allusions - même si les notes critiques l'éclairent grandement. Cependant, là aussi, Jodelle affirme le pouvoir de la poésie. Ses poèmes pourront vaincre l'hérésie protestante. Cependant, ils sont d'une grande violence, en terme contemporains on dirait qu'ils sont des terroristes pour lui.
Une intéressante découverte, il faudra que je relise de façon plus attentive les différentes parties.