Une femme en contre-jour n'est ni un roman, ni un récit, peut-être même pas un livre, même s'il en a la forme.
Une femme en contre-jour est une oeuvre d'art. Un travail qui raconte par son existence même le regard d'un artiste sur le monde. Ce regard qui constitue l'essence même de l'artiste, quand seul le regard posé sur quelque-chose ou quelqu'un et la façon de le restituer le transforme en sujet singulier et ainsi, en oeuvre d'art. Depuis longtemps, l'art est le moteur de l'inspiration de
Gaëlle Josse. Un tableau, une photo, une musique font naître chez elle les sensations qui la poussent à s'immerger et à dessiner les corps et les âmes autour de ces sensations. Elle en parle elle-même dans la postface de ce livre, et ses mots sont si inspirants, si incarnés, qu'ils constitueraient presque le moment le plus fort de cette lecture.
Je ne vais pas revenir ici sur l'histoire de
Vivian Maier, que j'ai découverte grâce à la sortie annoncée de ce roman qui m'a menée à m'intéresser au travail de cette photographe et à son incroyable destin.
Gaëlle Josse redonne vie à cette femme à partir d'un travail de documentation mais surtout à travers les sensations et les sentiments éprouvés devant les photos de
Vivian Maier qui ont bien failli ne jamais être développées et montrées au public. Un destin qui s'apparente à celui d'un génie comme
Van Gogh, mort sans savoir que ses Tournesols battraient des records dans les ventes aux enchères. Non, ce qui m'intéresse et qui, je pense, fait la singularité de ce livre, c'est la beauté du regard d'une artiste, d'une créatrice sur une autre. L'écho que l'on ressent entre l'oeuvre de la photographe et celle que construit pas à pas l'écrivaine. Cette curiosité partagée pour les individus, les visages, les voix. En faisant dans ce roman le portrait d'une
Vivian Maier à la fois multiple et toujours mystérieuse, introvertie mais ouvrant son regard aux autres, les gens ordinaires,
Gaëlle Josse semble reproduire les effets de cadrage si captivants de la photographe.
"Entrer dans une vie, c'est brasser des ténèbres, déranger des ombres, convoquer des fantômes. C'est interroger le vide et tendre l'oreille vers des échos perdus".
Pour l'artiste qu'est
Gaëlle Josse, habituée à passer de la solitude du temps de création aux lumières nécessaires du temps de la promotion, le mystère
Vivian Maier, celui d'une vie consacrée à l'art, dans l'ombre la plus totale est d'autant plus bouleversant à l'aune de ce qu'impose notre société de l'image, de l'égo et des apparences.
"Insoluble secret d'une existence, terrifiante solitude d'une femme dont le geste photographique, le geste seul donna un sens à sa vie, la sauva peut-être du désespoir. Inconcevable pour nous aujourd'hui, en ces temps où nos fragiles et exigeants ego quêtent sans fin l'approbation, l'admiration, le regard. Être vu, reconnu, aimé. Passions, désirs, profits, plaisirs, notre insatiable cavalcade avant le néant".
Dans l'oeuvre de
Gaëlle Josse, la lumière, les ombres et les contrastes sont omniprésents. le parallèle est évident, le dialogue qu'il initie à travers ce livre est fascinant de ce qu'il montre aussi de l'auteure. Comme une magistrale mise en abyme. Oui, ce livre est une oeuvre d'art et une nouvelle pierre à l'édifice magnifique et sensible que bâtit l'écrivaine avec talent et délicatesse.
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