Le jeûne n'est plus ce qu'il était. C'était mieux avant. Les gens venaient voir l'artiste dans sa cage, mais le numéro est tombé en désuétude. de ville en ville, pour une durée de quarante jours, il était admiré pour son oeuvre, il aurait même pu allez plus loin, si on l'avait laissé faire. Mais le public s'est lassé, fini, terminé. Réduit à jouer les animations de cirque près de la ménagerie ou plus personne ne le voit. Jusqu'à l'oublier et le balayer, comme un fétu de paille.
Un univers à la Kafka. Nous sommes au bord de l'absurde ou l'ironie frôle le drolatique. Etrange parallèle : ne craignons-nous pas d'être, nous aussi, poussés vers les rivages de la solitude ? Devenir transparent au monde environnant.
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Nul ne pouvait savoir par suite d’un contrôle personnel si l’artiste avait vraiment jeûné impeccablement ; le jeûneur seul pouvait le savoir, il pouvait seul constituer devant son jeûne un spectateur parfaitement satisfait. Mais, de son côté, il ne l'était jamais, et cela pour une autre raison ; peut-être n’était-ce pas le jeûne qui l’amaigrissait au point que bien des gens devaient renoncer, à leur grand regret, à suivre ses exhibitions parce qu'ils n’auraient pu supporter son aspect ; peut-être ne maigrissait-il tant que par mécontentement de soi. Il était seul, en effet, à savoir, et nul initié ne s’en doutait, combien le jeûne est chose facile ; il n’était rien de plus aisé. Il ne le taisait d’ailleurs pas, mais on ne voulait pas le croire ; les gens indulgents croyaient qu’il parlait par modestie, et les autres, la majorité, le prenaient pour un fanfaron assoiffé de réclame ou même pour un bluffeur éhonté. Le jeûne lui était facile ? Naturellement ! Il s’entendait à le rendre tel ! Et il avait encore le front de vous l'avouer à moitié !
Pourquoi s'arrêter justement là, après quarante jours ? Il aurait pu tenir encore longtemps, un temps illimité ; pourquoi s'arrêter maintenant, quand il est au plus beau de son jeûne, quand il n'y était peut-être même pas encore arrivé ?
En plus des spectateurs d'occasion, il y avait aussi là des surveillants permanents, choisis parmi le public, chose curieuse, c'étaient généralement des bouchers, qui toujours par trois, avait pour mission d'observer jour et nuit le jeûneur, afin qu'il ne prît surtout pas quelque nourriture en cachette.
"Maintenant rangez-moi tout ça !", dit le régisseur, et on enterra le jeûneur en même temps que la paille.
On remua la paille à l’aide de bâtons et l’on y trouva l’artiste de la faim.
Leslie Kaplan - L'Assassin du dimanche - éditions P.O.L - où Leslie Kaplan tente de dire de quoi et comment est composé "L'Assassin du dimanche" et où il est question notamment de femmes qui s'organisent et de collectif, de littérature et de hasard, de Franz Kafka et de Samuel Beckett, d'une usine de biscottes et du jardin du Luxembourg, à l'occasion de la parution aux éditions P.O.L de "L'Assassin du dimanche", à Paris le 21 mars 2024
"Une série de féminicides, un tueur, « l'assassin du dimanche ». Des femmes s'organisent, créent un collectif, avec Aurélie, une jeune qui travaille en usine, Jacqueline, une ancienne braqueuse, Anaïs, professeure de philosophie, Stella, mannequin, Louise, une femme de théâtre…"
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