Ce premier volume de treize récits inédits en France de
Kazuo Kamimura en comporte seulement trois, longs.
Le premier, Oiwa de l'année du rat, se déploie en huit tableaux. Une femme découvre son père mort. Il a manifestement été tué. Il s'opposait au mariage de sa fille avec Iémon, un samouraï oisif. Iémon en profite pour la consoler et nouer une relation torride…Mais Takuetsu, qui se fait passer pour un masseur aveugle, et tient en fait un lupanar en ville, a été témoin du crime. Alors qu'Oiwa tombe malade, le voisin du couple, Messire Itô, qui cultive des kuzuran, orchidées vénéneuses, lui propose un remède…Et Takuetsu, recroisant la route de Iémon lui fait du chantage : qu'il lui livre Oiwa pour sa maison de rendez-vous, ou une certaine somme d'or, et il taira la vérité. Seulement, pour Iémon, l'or se trouve à portée de main chez le fameux voisin, ainsi que sa fille Aya…Itô, veut la marier à Iémon, et va à l'aide de son poison des kuzuran, lui faire subir les tourments de l'amour et d'une frénésie sexuelle, tout en se débarrassant d'Oiwa et de Takuestsu. Mais Oiwa, de là où elle est, va assouvir sa vengeance, et son bras armé seront les rats, des nuées de rats…pour supprimer sa rivale et retrouver son cher amant dans l'au-delà…
Le second, les seins d'Okise, met en scène Okise, une jolie mère d'un jeune enfant, dont le mari est entièrement pris par sa passion de l'ornithologie et la délaisse. Sa relation physique à son enfant est ambigüe, lui réclamant encore à têter le sein de sa mère, et elle y prenant du plaisir. Un jour, un chasseur à l'arc aperçoit le couple et flashe immédiatement sur le sein dénudé d'Okise. Il la veut, et c'est décidé, il l'aura !!! Okise n'a connu que son mari, ils ont la passion commune des oiseaux, mais elle rêve d'érotisme passionné. le beau chasseur va se rapprocher de la petite famille et une relation torride va naître…Mais ils vont être découverts et le mari va se venger avec une arme par destination, sans doute la seule qu'il maîtrise à merveille, l'oiseau, pour punir sa femme infidèle par où elle a péché, ce sein superbe…C'est le récit que j'ai préféré, qui convoque un festival bien dans la tradition japonaise, la fête de la mamelle, et la légende de l'arbre enoki à la mamelle.
Le troisième et dernier récit est le chant pathétique du Tsugaru. Dans cette rude contrée du nord du Japon, Shinsuke, marin-pêcheur, aime une musicienne de shamisen mendiante et aveugle (une goze), Onami. Selon la tradition, les goze protègent les pêcheurs, leur apportant une pêche abondante. Mais coucher avec l'un d'eux est sacrilège. Si le père de Shinsuke est assez compréhensif, la matronne de cette troupe est furieuse, d'autant qu'Onami est enceinte. Elle va subir une terrible punition, se faisant couper un bras et arracher les oreilles. Comprenant aussi que Shinsuke a finalement choisi de renoncer à elle pour succéder à son père comme patron du village de pêcheur, Elle y laissera la vie, après l'avoir donnée, dans l'unique but de se venger…Quelques années plus tard, une belle jeune femme viendra avec son shamisen pour redonner du poisson aux villageois qui n'en trouvaient plus dans leurs filets, tout en leur vendant son corps, jusqu'à Shinsuke qui se souvient…Mais peut-on vraiment posséder la belle goze ?!
Trois longues et belles histoires d'Onryô, des esprits vengeurs, présente depuis de longs siècles dans la tradition populaire japonaise. Ils peuplent la mythologie, la littérature, et même l'histoire du pays (plusieurs fois la superstition a poussé les autorités à dédier des temples à des personnages disparus suite à des catastrophes survenues après leur mort). Dans la mythologie, l'Onryô est souvent une femme, et elle s'incarnera dans l'art. Oiwa notamment, apparaît également dans le Dit du Genji, dans des estampes d'Hokusai et de Kuniyoshi ou dans le théâtre kabuki.
Ce livre a été un grand plaisir de lecture, j'ai été très sensible à ce que ces histoires prennent racine dans les mythes japonais. Elles sont d'autant plus instructives que la riche postface, tirée de l'édition italienne qui a précédé celle-ci, nous éclaire largement sur ce point. le graphisme est précis sans être surchargé, de belles plages panoramique aèrent et déroulent les plans comme on déroulerait un rouleau.
C'est superbe, et je remercie vivement, et les éditions Kana, et babelio, de m'avoir permis de découvrir ce tome 1, m'a suffisamment séduit pour me pousser à acquérir le tome 2 et ses dix autres histoires de vengeance féminine !