Dans le sillon de (mes attentes déçues par rapport à) la lecture de Serial Girls, et sous les auspices du prisme féministe de l'injonction à la beauté féminine conçue comme instrument de domination sexiste par la frustration des femmes (que je tire de
Mona Chollet), je me suis saisi de cette étude désormais un peu datée (2013) de
Jean-Claude Kaufmann, qui appartient à ses travaux de vulgarisation « légère »... Sa thèse apporte néanmoins deux facteurs de complexification importants à l'idée trop facile du modèle unique et d'une domination univoque. En effet, depuis le début du XXIe siècle, alors que l'apparence physique continue d'être une cause formidable de frustrations, de manque de confiance en soi, d'investissements de ressources financières et émotionnelles au risque de mettre en danger sa santé physique et psychique, il existe un certain nombre de femmes qui se torturent pour gommer les rondeurs de leurs fesses jugées disgracieuses par excès et un nombre comparable de femmes qui pratiquent des tortures équivalentes mais inverses à leurs fesses jugées disgracieuses par défaut. Les injonctions venant de la société du spectacle opèrent de façon concomitante et contradictoire, dans les deux sens. le regard masculin, dans les deux cas, semble ne pas avoir une prégnance prépondérante, et parallèlement l'émancipation des femmes ou sa régression ne sont par reflétées univoquement par des normes esthétiques correspondantes ni même par un relâchement desdites normes. Si une certaine caractérisation géopolitique (Nord contre Sud du monde) ainsi qu'une dialectique des classes sociales (ultra-minceur des dominantes contre rondeurs des subalternes) peuvent actuellement être observées dans la préférence de telle esthétique fessière ou de son opposée, le conflit entre les deux modèles semble être plus compliqué qu'une simple question de domination-résistance ; de plus, son issue est jugée imprévisible et une synthèse de compromis (petites fesses galbées et musclées) illusoire et éphémère. Dans tous les cas, les fesses représentent, mieux que les seins, un emblème de la nature problématique de ces questions esthétiques du corps féminin, car elles héritent du stigmate de la honte (et de la dérision, cf. cit 1) ainsi que de la dichotomie fondamentale et archaïque entre l'invisibilisation pudique et l'ostentation à des fins de séduction.
D'une manière un peu désordonnée et avec beaucoup de répétitions, après avoir posé la problématique principale par un usage typiquement kaufmannien des sources numériques (blogs et réseaux sociaux) selon une méthodologie sociologique empirique, l'essai se fonde sur la démonstration historique de l'alternance entre périodes où la minceur a prévalu comme norme de beauté et périodes où c'était l'opulence des formes. le Chap. 3 se concentre sur le XXe siècle, le Chap. 4 recule au Moyen-Âge et à Renaissance, les Chap. 6 et 7 font un gros plan sur les deux révolutions successives et inverses des années 1950 et 1960 respectivement, le Chap. 9 se concentre sur « Le retour des fesses » des années 2000. Restent des chap. intermédiaires qui se consacrent à des questions plus spécifiques et ponctuelles : le Chap. 5 traite de « Ce que pensent les hommes », le Chap. 8, intitulé « Beauté divine » tente un parallèle audacieux entre le jeûne mystique chrétien, le Romantisme et
les actuelles dérives anorexiques ; enfin le Chap. 10 s'attaque à démentir l'éventualité d'une « fesse idéale », ne serait-ce que comme compromis provisoire ou comme la négation de caractéristiques généralement abhorrées.