Billy Summers est un titre qui claque à mes oreilles un peu à l'image d'un film de Quentin Tarentino…Tenez, prenez Jackie Brown et sa musique d'ouverture, Across 110th street de Bobby Womack, voilà le type d'ambiance qui m'apparait à l'évocation de
Billy Summers, et ce instantanément. A l'instar du réalisateur emblématique, l'auteur mythique met un personnage, et quel personnage, sous les feux des projecteurs.
Se met en branle aussi la musique d'Eric Serra accompagnant l'irrésistible Léon de
Luc Besson, lui aussi tueur à gage au grand coeur dont la rencontre avec une petite fille va bouleverser la vie. Et
Billy Summers est une sorte de Léon à l'américaine…Ce parallèle est évident de sorte que je voyais
Jean Reno dans la peau de
Billy Summers…Et la petite Nathalie Portman aussi dans celle de la jeune Alice…
Références cinématographiques plutôt lumineuses, il faut dire que ce roman fait partie des livres soft du King, rien de gore, rien de surnaturel, rien de monstrueux si ce n'est la monstruosité de la psychologie humaine. Rien de très original non plus, par rapport à l'étonnant
Marche ou crève par exemple, ou encore à l'emblématique, et adoré pour ma part, 22/11/1963 dans lequel l'auteur revisitait à sa manière le voyage dans le temps…Mais une structure narrative particulièrement efficace et addictive, la focalisation sur un personnage auquel le lecteur s'attache tout particulièrement et surtout une certaine profondeur sous des apparences simples. L'histoire, au printemps 2019, d'un tueur à gages, « un éboueur armé d'un flingue », ancien tireur d'élite de l'armée des États-Unis, vétéran de la guerre en Irak, dénommé
Billy Summers qui ne tue que les méchants, ceux qui le méritent vraiment, autrement dit il est « un type bien qui fait un sale boulot ». Soit.
Mais, à l'image de ce
Billy Summers qui fait exprès de se faire passer pour un idiot pour cacher son intelligence à ceux qui l'emploient - être considéré comme tel recèle beaucoup d'avantages et permet notamment d'avoir des coups d'avance- le roman n'est pas seulement un simple thriller comme nous en avons d'abord l'impression, mais aussi, et surtout, un roman social dans lequel l'auteur règle ses comptes avec l'Amérique trumpienne, un drame de guerre, un road trip, une ode à l'écriture et à la littérature.
Pour
Billy Summers, il s'agit du dernier coup avant la retraite. Deux millions de dollars à la clé puis il prendra la poudre d'escampette. Il s'agit de tuer un prisonnier, un méchant qui s'en est pris à un collégien de quinze ans, qui détient trop de secrets compromettant, secrets qu'il peut faire valoir afin d'éviter la peine de mort. Il faut donc le tuer avant son procès qui aura lieu dans quelques semaines, voire dans quelques mois. Billy s'installe ainsi dans une petite bourgade du Mississippi au sein de laquelle, pour ses voisins, il se fait passer pour écrivain. Son bureau par ailleurs est situé pile en face du palais de justice, de la fenêtre il pourra atteindre sa cible. Pour les autres personnes qui travaillent dans cet immeuble, il est également un écrivain qui a besoin de s'astreindre à plusieurs heures d'écriture dans un bureau, au calme. L'auteur prend le temps de camper son personnage et de s'immerger dans sa nouvelle identité, se liant avec ses voisins, déjeunant avec les employés de l'immeuble.
Il se trouve que
Billy Summers est un passionné de littérature, sa lecture du moment n'est pas moins que
Thérèse Raquin de
Zola. King semble rendre hommage à l'un des maîtres de la littérature française, révélant sans doute sa fascination pour le naturalisme.
Pour passer le temps et assurer sa couverture, Billy se met vraiment à écrire. Il écrit sa vie à la manière d'un idiot, au cas où son ordinateur est piraté et qu'il est espionné, un peu dans le style de
Faulkner dans
le bruit et la fureur, se dénommant même dans ce roman Benjy Cobson. Enfance traumatisante, Guerre en Irak atroce, métier de tueurs à gage glaçant, tels sont les ingrédients de ce vrai-faux livre…Se glisse véritablement dans le livre un roman dans le roman, deux romans qui s'entrelacent aux styles et aux tons très différents, prouvant, s'il en était encore nécessaire, le talent de l'auteur américain pour jongler habilement avec les perspectives et les ambiances. La multiplication des identités de
Billy Summers est également une foisonnante source de jeu et de connivence avec son lecteur…
Billy Summers, dans cette période de l'attente, dans cette période d'écriture – soulignons d'ailleurs que l'auteur fait un clin d'oeil à
Misery avec cette mise en abîme de tueur à gage justicier se créant un personnage d'écrivain pour alibi - va se surprendre lui-même dans sa capacité à se lier d'amitié, dans son envie très forte d'écrire, dans cette vie qui semble enfin germer en lui et faire éclore l'espoir d'une vie autre.
Une fois la mission accomplie, c'est cependant la fuite d'autant plus que quelque chose ne tourne pas rond. Il a l'impression de s'être fait avoir par ses employeurs. Fuite d'autant plus rocambolesque que vient se greffer Alice, une jeune femme dont le drame récent rend vulnérable. le livre se transforme alors en un passionnant road trip à deux où seuls comptent le voyage et les rencontres. Duo touchant et improbable que je vous laisse découvrir…
Dans ce livre, j'ai été totalement sous le charme des images et de leur incroyable puissance évocatrice. Impossible de ne pas garder certaines scènes en tête une fois le livre refermé. Je l'avais déjà ressenti avec 22/11/1963. Me resteront par exemple les souvenirs de parties endiablées de Monopoly par temps de pluie avec les enfants du quartier tout en mangeant des gâteaux faits maison, l'écriture dans la cabane en pleine nature située au fond du jardin de son ami (et ce tableau au-dessus du bureau qu'il ne cesse de retourner, sans doute la seule petite touche fantastique du livre, tel un clin d'oeil)…Ce sont des moments simples mais forts, des moments que nous avons tous vécus et qui évoquent l'enfance, la famille, le confort et la sécurité, cette atmosphère de cocon lorsque les éléments se déchainent au dehors…
Au-delà de l'histoire, ce livre est un véritable réquisitoire contre la peine de mort avec son lot de questions classiques : certains êtres méritent-ils plus que d'autres, du fait de leur « méchanceté », du fait des actes commis, de mourir ? La loi du Tallion est-elle une solution, ne nous rend-elle pas justement inhumains ? Qu'est-ce que faire justice ? Comment est-il possible de s'attacher, en tant que lecteur, à un tueur à gage, certes au grand coeur et aux modus operandi basé sur un certain code d'honneur ? Un tueur, quel qu'il soit, peut-il être « aimable » ? Si le message transmis par l'auteur est flou et paradoxal en la matière, nous sentons sans conteste sa fascination pour cette thématique autour de laquelle il tourne, creusant un sillon se faisant peu à peu cicatrice.
Si j'ai un peu tiqué au début de ma lecture, c'est parce qu'il me semblait que le livre allait être très manichéen, ce tueur à gage ne tuant que les « méchants ». Il n'en est rien, bien au contraire, le livre montre justement que chaque personne n'est ni bonne ni mauvaise mais fait ses choix en lien avec son histoire et sa psychologie, son caractère. Sans être très original, la structure narrative addictive, le livre dans le livre vertigineusement fascinant, le côté paradoxal de la peine de mort décidé par un être profondément humain, et la fin, malheureusement bien prévisible, mais très touchante, tendre et délicate, voilà ce qui fait de
Billy Summers un livre inoubliable au flow mélodique très américain, petite musique qui reste en tête, subrepticement, telle une ritournelle entêtante…
Un merci à Sandrine, Doriane, Nicola et
Anne-Sophie pour cette lecture partagée !