La collection Graphic de Pika propose vraiment des titres intéressants, des titres où la notion d'artiste est vraiment importantes. En 2017, elle s'était attaquée aux oeuvres de jeunesse de
Satoshi Kon, cet artiste qu'on connait peut-être plus pour son oeuvre cinématographique que pour son oeuvre papier, alors que celle-ci est également très riche dans la forme et les thèmes qu'elle aborde. J'ai donc été ravie que l'éditeur français remette en avant ce titre en le rééditant en 2020.
Quand on parle de
Satoshi Kon, on pense peut-être avant tout aux films qu'il a réalisés et qui ont marqué des générations de fans du cinéma : Perfect Blue en 1997, Millennium actress en 2001, Tokyo Godfathers en 2003 et Paprika en 2006. Probablement nous aurait-il encore proposé encore d'autres grands films s'il n'était pas mort prématurément d'un cancer en 2010, à l'âge de 46 ans. Pour ma part, c'est à travers eux que j'ai découvert l'artiste et je n'ai appris que plus tard qu'il avait également été mangaka.
Dans le recueil de nouvelles que nous propose ici Pika, nous découvrons les toutes premières oeuvres de l'artiste, celle qu'il a écrite alors qu'il sortait tout juste du lycée, puis d'autres écrites juste après ses études. Dans son parcours, il a eu la grande chance de tomber sur
Katsuhiro Otomo dont il fut l'un des assistants sur Akira et cela s'en ressent grandement dans son oeuvre.
En effet, dans les nouvelles que nous allons découvrir ici, nous retrouvons fortement l'influence des grands auteurs des années 80 que furent
Katsuhiro Otomo mais également
Tsukasa Hojo, et plus lointain encore Moebius (auteur de BD français), ce qui donne une teinte toute particulière et singulière à celles-ci.
L'auteur est un touche à tout et on le sent. Il est autant à l'aise dans du pur tranche de vie, que des histoires historiques ou encore dans de la science-fiction, et c'est un vrai bonheur de le lire. J'avais adoré son long récit : le Pacte de la Mer, où au-delà de l'histoire très ancrée dans la culture japonaise, j'avais adoré sa science du découpage et de la narration. On retrouve cela ici, en germe. Pika nous offre un vrai voyage dans l'oeuvre de
Satoshi Kon, en suivant de manière quasiment chronologique (seule sa toute toute première oeuvre se retrouve à la fin de l'ouvrage) les nouvelles qu'il a pu écrire à la fin des années 80, et c'est très chouette de suivre son évolution.
Dans sa toute première oeuvre : Les prisonniers, on ressent fortement l'influence d'
Otomo et d'Akira dans ce monde futuriste à la
George Orwell. Il en va de même dans la nouvelle suivante écrite l'année d'après : Sculpture. Ce sont deux oeuvres à l'ambiance futuriste très proche de celle d'Akira où nous suivons des jeunes en pleine révolte face au système. le découpage de l'auteur est déjà percutant et les thèmes marquants. On sent juste quelques ellipses gérées maladroitement en cours d'action, mais c'est déjà très prenant et le format court est bien maîtrisé.
Cependant si je suis une fan de science-fiction, je dois dire que c'est plus dans les histoires tranche de vie que j'ai pris plaisir à découvrir
Satoshi Kon. Je lui ai trouvé un sens du comique et de l'à propos très percutant et il m'a beaucoup amusée. Que ce soit dans la nouvelle Remue-ménage où on sent son amour pour le sport à l'école et le baseball en particulier - une institution au Japon -, dans Un été sous tension et sa revisite de la comédie romantique et des voyages entre potes, dans Mise au point et sa vision amusante du travail de détective, dans Ce n'est qu'un au revoir sur les derniers jours d'un lycéen pas sûr d'avoir les concours, et surtout dans l'excellent triptyque : Les Kidnappeurs, Les invités et Au-delà du soleil, on retrouve une science de la comédie et de la chute juste excellente !
Dans Les Kidnappeurs et surtout Au-delà du soleil surtout, j'ai trouvé qu'il y avait un art du découpage magistral pour un si jeune artiste. Tout s'enchaine avec un sens du rythme et de l'à propos fabuleux, c'est extrêmement drôle, reprenant des cadrages issus du cinéma, américain notamment, pour dynamiser cela et rendre cette lecture haletante, coupant toute possibilité au lecteur de s'arrêter une fois le doigt mis dans l'engrenage, c'était fabuleux !
De plus, l'auteur croque à merveille des situations de la vie quotidienne au Japon pour nous les rendre amusante, en proposant à chaque fois un angle de vue légèrement décalé mais toujours un poil sérieux quand même, qui donne envie de se tordre de rire malgré tout. L'exemple parfait étant Les invités avec cette famille achetant une maison hantée, où chacun essaie de vivre normalement en les ignorant. Il joue sur les codes de la culture japonaise pour mieux les tordre, les dénoncer et nous en amuser.
Mais il sait aussi proposer de la tendresse à travers des histoires comme Les Kidnappeurs où un voleur de voiture se retrouve à s'occuper de l'enfant que l'ancien propriétaire de la voiture avait enlevé, ou Joyful Bell dans laquelle un faux père Noël se retrouve à raccompagner chez elle une enfant qui voudrait qu'on lui offre un papa.
Il y a juste deux nouvelles qui ne m'ont pas du tout intéressée le Dauphin du désert se déroulant dans un cadre militaire qui heureusement était courte et La Bête, un récit historique sur fond de conflit entre guerriers. Mais c'est vraiment personnel et je reconnais des qualités à chacune, la première a un final très drôle et la première offre une belle histoire sur fond d'esprit guerrier. C'est juste que ça ne m'a pas parlé, mais 2 nouvelles sur 15, c'est fort peu.
Au contraire, l'auteur propose une qualité constante, qualité qu'on retrouve également dans les dessins rondouillards tant à la mode dans ces années-là. Si vous aimez le trait d'
Otomo ou des premiers
Hojo, vous serez comblé ici. C'est même peut-être encore plus maitrisé car le peu de pages de chaque nouvelle oblige à concentrer et faire des choix pour ce que ce soit le plus fluide et limpide possible. Ainsi ses cadrages souvent claques, ses enchainements de cases lors des actions sont percutants. On sent vraiment le futur cinéaste en lui. Ce n'est pas pour rien qu'il s'intéresse à l'animation depuis son enfance avec des titres comme Conan, le fils du futur (1978) ou Mobil Suit Gundam (1979) qui l'ont marqué. Ses études en design visuel à l'université d'art de Musashino, dans la banlieue de Tokyo, ont aussi du contribuer à ce trait plus épuré et presque déjà animable qu'il a et que n'ont pas tous les auteurs à l'époque.
Ainsi dans tout ce recueil,
Satoshi Kon fait déjà oeuvre de beaucoup de talent. Il sait déjà varier les tons et propose une oeuvre riche mais toujours cohérente car reposant sur une science de la narration et du découpage rarement vue chez un si jeune artiste. J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ces nouvelles tour à tour drôles, amusantes, percutantes ou émouvantes. J'aime son univers inspiré de la SF d'
Otomo, Orwell, Dick et autres grands auteurs, mais j'aime tout autant ses récits plus proches du quotidien des japonais où il parle amour de jeunesse, baseball, fantômes, vieillesse... Un artiste à découvrir et redécouvrir.
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