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" Ce qui rend le destin littéraire de Krzyzanowski à ce point bouleversant ( outre que cela représente de voir ainsi surgir du néant une oeuvre complète), c'est peut-être précisément son invisibilité absolue, son inassimilation organique par son époque."
Krzyzanowski (1887-1950), écrivain russe contemporain de Zamiatine ne fut jamais publié (à part quelques rares articles parues dans les revues ) de son vivant ni dans les années qui suivirent sa mort. La toute première publication d'un ensemble conséquent de ses nouvelles datent de 1989. Comment ais-je ce livre dans ma Pal ? Aucune idée, vu qu'il y gisait depuis longtemps,....probablement à travers le livre d'un autre écrivain russe.

Comment parler de ce livre, où l'intelligence de Krzyzanowski et son mode d'expression pour coucher sur papier des idées, des réflexions toutes simples mais pourtant très riche en substance me subjuguent et me dépassent. Déjà avec la première nouvelle qui donne son titre au recueil, l'auteur me prend de court en s'amusant avec le processus de création littéraire, enfilant les histoires les unes après les autres avec une verve et un humour corrosif,
« Curieux livre n'est-ce-pas?....Vous ne l'avez pas lu ...Non ? Voici de quoi il s'agit. En deux mots: débarrasser de l'absurde le tas d'absurdités dont est faite la vie. L'intrigue : un écrivain qui travaille sur un roman s'aperçoit de la disparition d'un de ses personnages. Il a échappé à sa plume et pris le large. le travaille piétine..... ». Écrit en 1927, "Le marque page" n'épargne ni éditeurs, ni censeurs , ni écrivains de l'époque.......
Ce n'était que l'apéro qui donne le ton au recueil. Cinq autres histoires y suivent et quelles histoires ! Et Là je m'incline devant l'extraordinaire puissance de son imaginaire,

Soutouline et son Superficine, produit miraculeux qui agrandit votre espace vitale, sauf que....
Les mystères de la séduction féminine à travers le témoignage des victimes cachées dans les pupilles de leur "Logeuse" , "Et c'est à ce moment-là qu'est apparue une troisième personne : il s'agissait d'un bonhomme minuscule qui me fixait depuis sa pupille, de mon double miniaturisé qui s'était glissé là-bas. le petit homme a répondu poliment mais les yeux se sont détournées".......
La treizième catégorie de la raison Kantienne qui vous ouvre toutes les portes de votre imaginaire, même celle inexistante 😊de l'au-delà....
Vous mordre le coude, l'unique but de votre Vie, voilà de quoi vous la simplifier, mais quand les philosophes s'en mêlent, ca se complique......
La haine, l'énergie biliaire comme nouvelle source d'énergie, très rentable par tous les temps , "Une dispute conjugale payait tout un repas, dessert compris"......


Écrit au début du siècle dernier, les propos qui y sont traités sont intemporels et le ton s'adapte comme un gant à l'absurdité de la situation que nous sommes en train de vivre. Une superbe rencontre littéraire que je ne peux que conseiller.

“Ce qui m'intéresse , ce n'est pas l'arithmétique, c'est l'algèbre de la vie."
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Maintenant qu'on a fait un peu plus connaissance, partons à la découverte de son premier recueil, formé de six nouvelles, supposément les plus représentatives de son art romanesque et fantastique.

Passée la sobre et indispensable introduction de la regrettée Hélène Châtelain, tant un tel livre nécessite éclairage sur son histoire chaotique, vont suivre :
-Le marque-page (1927) - 44 pages
-La Superficine (1926) - 13 pages
-Dans la pupille (1927) - 38 pages
-La treizième catégorie de la raison (1927) - 9 pages
-La métaphysique articulaire (1935) - 14 pages
-La houille jaune (1939) - 19 pages

Le caractère très personnel, voire autobiographique, de ces textes s'affirme dès la première nouvelle, prétexte à la rencontre du narrateur avec l'attrapeur de thèmes, personnage créant sans cesse des fragments d'histoires à partir du plus petit rien capté sur l'instant, comme un dialogue intérieur entre l'écrivain et son lecteur, démontrant son très haut niveau de conscience : sans vouloir trop s'avancer, il illustre sa volonté — au contraire de ces auteurs composant sans trop se soucier de la réception de leurs écrits — de sortir de l'éther la bonne histoire ; complice du spectateur, il fouille le monde avec son filet à papillons, donnant une existence propre, hors du regard, à chaque chose.

Marcher, le nez au vent, dans sa ville, semble pour lui la meilleure manière d'écrire ; rapportant de ses balades ces instants capturés, afin de leur donner vie sur papier, il commence par les baptiser : « Et si le titre tient, alors on en décroche le texte comme un manteau de son clou. le titre est pour moi le mot qui entraîne tous les autres, jusqu'au dernier. »

Vu qu'il reste relativement inconnu, il n'est pas inutile de faire des comparaisons; des plus évidentes, d'Alexeï Remizov à Nicolaï Gogol, prolongeant cette manière si confiante de s'adresser au lecteur, en plus d'en partager l'usage du fantastique afin de démontrer l'absurdité du monde.
Généreux, il en donne même la recette :
« D'abord, tirer un trait sur la vérité, personne n'en a besoin. Puis, exalter la douleur jusqu'à en faire un récit. Oui, c'est ça. Rajouter un peu de quotidien et par dessus, comme une couche de vernis, un soupçon de vulgarité — impossible de faire autrement. Enfin, deux ou trois réflexions philosophiques et… »

Mais c'est une parenté beaucoup plus hardie qui m'est venue à l'esprit. Une évidence, pour qui l'oeuvre coule littéralement dans ses veines. Cette prose, faite de petites choses, c'est aussi celle de Richard Brautigan. Ils y partagent le même goût pour la personnification des objets ; cette même manière de donner vie à l'inanimé ; déroulant le fil ténu qui les relient encore à l'enfance de l'imagination ; émus, parachevant les points de suspension de la citation :
« …lecteur, tu te détournes, tu veux chasser ces lignes de tes yeux. Non, ne fais pas ça, ne m'abandonne pas sur ce long banc vide : glisse ta main dans la mienne, oui, comme ça, serre encore, je suis resté seul trop longtemps. Je vais te dire quelque chose que je ne dirai à personne d'autre qu'à toi : pourquoi, en fin de compte, donner aux enfants la peur du noir, alors que l'obscurité peut les calmer et les faire rêver ? »

Ces nouvelles ne peuvent occulter le sentiment du lecteur affamé, voyant tant de bonnes idées à peine développées, les considérant comme des graines que la solitude, la censure ou la pauvreté n'auraient pas laissé germer.
Il n'est bien-sûr pas exclu qu'on se trompe, la brièveté étant un art à part entière, que certains ne savent réellement apprécier. Il faudrait pour cela bien méditer les enseignements de la Vitesse des Choses (livre-mutant, que l'on attribue à Rodrigo Fresan), et ne pas courir trop vite, au risque du claquage…

Pourtant, cette dernière nouvelle au nom évocateur, post-exotique, « La Houille Jaune », échafaude en quelques pages un scénario d'après la fin de l'histoire, où l'énergie tarie précipite l'humanité dans les crises et les guerres, jusqu'à ce qu'un savant parvienne à extraire la puissance contenue dans la haine, principale force motrice de ces Hommes.
« C'est ainsi que le célèbre ethnologue Kranz publia une ”Classification des haines interethniques” en deux volumes. le thèse centrale de cet ouvrage affirmait la nécessité de diviser l'humanité en unités nationales aussi petites que possible, afin de produire un maximum de « haine cinétique » (le terme est de Kranz) ; »
Si ce n'est pas ce qu'on qualifie de visionnaire…
...
Voilà, n'allons pas trop vite, il en reste encore...
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Un composant chimique qui aurait le « pouvoir » de repousser les murs, voilà qui arrange bien Soutouline et sa minuscule chambre de la taille d'une boite d'allumettes (8 m2 au plus). Mais lorsque les murs commencent à s'éloigner, que le processus ne permet plus de faire marche arrière, que la commission de contrôle des surfaces arrive et que les distances entre la porte et son lit deviennent si éloignées que...

Sigismund Krzyzanowski est né à Kiev le 11 février 1887 et mort à Moscou le 28 décembre 1950. C'est à peu près toutes les informations connues concernant cet auteur. Jamais publié de son vivant, son talent ne sera reconnu que bien plus tard, découvert un peu par hasard. Inclassables, les Éditions Verdier se chargent d'exhumer de l'oubli les quelques écrits jusque là oubliés d'un génie ignoré de la littérature russe de ce siècle.

Un type qui n'a que pour suprême ambition dans la vie d'arriver à mordre son coude. Je vous vois déjà prêt à initier le geste pour tenter l'exploit. Mais attention, cela demande et requiert une vraie préparation, un étirement des muscles du cou, une condition physique irréprochable, et une mentalité d'acier pour répéter de façon incessante ce mouvement aberrant. Absurde ? Pas pour la population qui idolâtre ce nouvel héros de la nation russe, pas pour les intellectuels et les philosophes qui se réunissent en mouvements « pro-coudisme » (ou anti), pas pour les mercantiles qui organisent une loterie pour parier sur la réussite ou non de cet exploit.

Ce recueil de nouvelles, écrites entre 1927 et 1939, apportent un étonnant et détonnant lot d'anticipation, d'étrangéité et de surprises humaines. Entre espièglerie et subversion, aux lendemains de la Révolution Russe, cette écriture de l'absurde nourrit le lecteur d'une imagination hallucinante et débridante.

Un attrapeur de thèmes capable d'inventer une histoire loufoque et rocambolesque, de s'approprier les éléments extérieurs pour élaborer une chronique fantaisiste et fantastique...

Un inventeur qui trouve une nouvelle source d'énergie (car la fin du charbon sur Terre hantait déjà les préoccupations de notre auteur visionnaire) en élaborant une houille jaune à partir de la bile créée par la haine des hommes...

Un homme qui pénètre dans la pupille de sa nouvelle amoureuse et qui y retrouve une société à l'intérieur composée de tous ses ex, oubliés de la belle et restés captifs dans la prunelle de ses yeux...

Et vous,
Avez-vous déjà essayé de croquer votre coude,
Avez-vous déjà réussi à vous échapper de la prunelle de votre ancienne bien-aimée,
Avez-vous déjà imaginé la Tour Eiffel s'enfuir pour rejoindre la fière patrie communiste...
Qu'avez-vous fait de votre marque-page ?
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Comme nombre de ses contemporains soviétiques, Sigismund Krzyzanowski eut à subir la censure stalinienne. Et s'il échappa à toute autre persécution, c'est pour la simple raison qu'il ne put strictement rien publier de ses fictions durant son vivant, condamné à vivre dans un minuscule appartement qui lui fournit l'argument d'une de ses nouvelles, intitulée « La superficine » : et si une substance inconnue permettait d'agrandir les dimensions d'un espace ? Acquise à la suite de ce qui ressemble fortement à un pacte avec le diable, cette substance transforme l'appartement en espace fantastique, un gouffre horizontal où résonne une profonde solitude. L'impossibilité matérielle de ce lieu n'est pas sans évoquer le repaire de Woland dans le Maître et Margueritte de Boulgakov, écrit à la même période et également indésirable pour la publication. Plus pessimiste que Boulgakov, Krzyzanowski se révèle tout aussi fantaisiste.

Et si… ? Et si… ? Les hypothèses s'élancent dans de nombreuses directions, à partir du moindre détail. le personnage principal de la nouvelle éponyme se montre capable de broder une histoire à partir d'une corniche, d'un copeau de bois abandonné... ou d'un marque-page. Tout cela en ruminant ironiquement le manque d'adéquation de ses récits avec les cadres fixés par la société. Aux côtés d'auditeurs plus ou moins attentifs, sa parole menace de se perdre comme le copeau, comme le chat tombant de la corniche, comme un marque-page emporté par le vent...

Fasciné par les images, Krzyzanowski est capable de donner vie aux plus infimes d'entre elles, de les enrichir de réseaux sémantiques touchant parfois à la philosophie. Voire à la psychanalyse avec « Dans la pupille », qui prend la pulsion scopique au premier degré : le reflet de l'amant acquiert une existence propre au sein de l'oeil de la dulcinée derrière lequel il est emprisonné. le double du regardé, émotion changée en image, cherche à revenir à sa source en tant qu'image faisant renaître l'émotion par son histoire : mise en abîme de l'écriture comme acte amoureux d'une mémoire mélancolique ? En tout cas, Krzyzanowski nous résume sa recette :

« D'abord, tirer un trait sur la vérité, personne n'en a besoin. Puis, exalter la douleur jusqu'à en faire un récit.

Oui c'est ça. Rajoute un peu de quotidien et par-dessus, comme une couche de vernis, un soupçon de vulgarité - impossible de faire autrement. Enfin, deux ou trois réflexions philosophiques (…) »

Les spéculations peuvent aussi s'élancer à partir de simples proverbes, comme celui qui dit en Russie que « ton coude est tout près, mais le mordre tu ne pourras jamais ». Chiche, se dit un déséquilibré dans son petit appartement solitaire (remarquez l'image récurrente…). Et la société de s'emparer du phénomène pour le structurer en système révolutionnaire, s'étendant du journalisme à l'économie, en passant par la politique, la mode et surtout la métaphysique. L'Histoire et la fable marchent ensemble le temps que cette révolution s'accomplisse. Mais que restera-t-il de la fable quand l'Histoire l'aura laissée derrière elle pour « revenir à zéro », comme aurait dit Evgueni Zamiatine, autre grand observateur des cycles révolutionnaires ?

La satire d'Octobre rouge baigne dans un humour noir qui me rappelle les mécanismes d'emballement théoriques singés par Will Self dans La théorie quantitative de la démence. de même, Krzyzanowski s'intéresse à ce qui se cache au-delà des limites des douze catégories kantiennes de la raison ; c'est pourquoi il en postule une treizième, où même la mort n'existe plus : un cadavre réfrigéré, « sans feu ni lieu » se met à ressembler au citoyen soviétique lambda, car il est lui aussi soumis à des problèmes de logements (oui, encore).

Et quand Krzyzanowski se lance dans la science-fiction, c'est sur l'argument suivant : et si la révolution n'était pas politique et rouge mais énergétique et jaune ? La philosophie de cette satire s'avère rien moins que féroce : la bonne littérature a besoin de haine pour exister (on pense à un autre de ses contemporains, le poète Ossip Mandelstam qui se revendiquait de la « hargne littéraire », pour lutter contre le reniement du passé par la révolution). Afin de moquer cette humanité qui l'empêche d'être lu et logé confortablement, Krzyzanowski répand narquoisement sa bile dans ce petit livre jaune. Et le rire qui s'en dégage est de la même couleur.

Merci beaucoup à Bookycooky pour avoir attiré mon attention sur ce recueil ! le jaune n'étant pas ma couleur favorite, j'aurais pu passer à côté, et c'eût été dommage.
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Des comparses lecteurs m'avaient signalé ce Sigismund Krzyzanowski comme un auteur à découvrir en constatant que j'appréciais les livres de Gonçalo M. Tavares. C'est tout autre chose, dans un autre espace et dans un autre temps, mais je comprends qu'on puisse faire le rapprochement. Krzyzanowski est encore très peu connu. Certains disent que le secret de cet écrivain fantastique est une pépite de libraire. Cet auteur russe décédé en 1950 à l'âge de 64 ans n'a jamais été publié de son vivant et ce n'est que depuis les années 1990 qu'on trouve des traductions françaises de quelques-unes de ses oeuvres. J'ai décidé d'amorcer ce périple de découverte par le premier recueil de nouvelles qui fut traduit du russe par Catherine Perrel et Elena Rolland-Maïski, le marque-page. Voilà donc un auteur surprenant de modernité dont certains ont signalé la parenté avec Kafka ou avec Borges. Ses thèmes sont variés, philosophiques, et portent un regard satirique sur la société. En ouverture du Marque-page, il se dote d'ailleurs d'un chasseur de thèmes très efficace. La touche fantastique va à la rencontre du scientifique et nous propulse dans un monde où un produit novateur comme la superficine permet de faire grandir les pièces dans une société où les célibataires n'avaient droit qu'à 8 mètres carrés. Dans une autre nouvelle, La houille jaune, la planète est en manque de combustible et une commission pour la recherche de nouvelles énergies lance un concours. Un ingénieur propose d'utiliser l'énergie de la haine partagée dans la société, une source presque inépuisable. L'intrigant parallèle qu'on peut faire avec la société d'aujourd'hui fait sourire, mais c'est un sourire inquiet.



Lien : http://rivesderives.blogspot..
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C'est clairement ma découverte marquante du mois d'août qui s'en va direct rejoindre ma liste
https://www.babelio.com/liste/27935/Litterature-russe--les-annees-20
Le marque-page est un jeu littéraire et sur la littérature qui vaut vraiment le détour mais ce sont surtout dans La Superficine, Dans la pupille, La métaphysique articulaire et La Houille jaune que j'ai été le plus marqué par l'imagination et le sens de l'absurde de cet auteur.
Dans la pupille est un truc qui réussit à convier le surréel, l'humour absurde et un je ne sais quoi d'oppressant dans une nouvelle extrêmement bien structurée et pleine d'une sorte de logique implacable dans le rassemblement du fond de pupille d'une jeune femme.
Un auteur dont j'ai hâte de lire la suite de la production (merci aux éditions Verdier d'une telle découverte un siècle après)
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Six nouvelles barrées, philosophiques, bon en fait, pour Krzyzanowski, tout est prétexte à philosopher, surtout s'il s'agit de Kant.

- le marque-page : comment de la redécouverte d'un marque-page soyeux, de qualité qui ne souffre pas de côtoyer des pages banales, le narrateur, se retrouve à écouter les histoires d'un "attrapeur de thèmes" qui invente plus vite qu'il respire des histoires folles.

- Superficine : une substance bien appliquée sur les murs d'une chambrette de 8 m2 peut en augmenter les volumes, mais attention aux conséquences.

- Dans la pupille : un homme voit dans l'oeil de sa bien-aimée un petit homme. Dès qu'il ne le voit plus, il refuse de voir son amie en plein jour, jusqu'à ce que ce petit homme lui raconte sa vie et la vie dans l'oeil de cette jeune femme

- La treizième catégorie de la raison : Kant a théorisé douze catégories de la raison ; et s'il en existait une supplémentaire ? Un fossoyeur voit et entend les morts qu'il enterre.

- La métaphysique articulaire : un homme répond à un questionnaire, il est le numéro 11 111 et son objectif dans la vie est de "mordre son coude", ce qui irait à l'encontre d'un proverbe russe célèbre.

- La houille jaune : la terre va mal et l'énergie fossile est manquante, toute activité va bientôt cesser. le professeur Lekr trouve une idée originale pour créer de l'énergie : se servir de la haine humaine.

Certaines nouvelles ne sont pas exemptes de longueurs, mais chaque début d'histoire et même d'histoire dans l'histoire est un ravissement. Sigismund Krzyzanowski sait raconter et nous perdre -avec bonheur- dans les dédales de son esprit fantasque. Il sait être drôle, ironique, satirique, savant, critique de la société de l'époque, des philosophes qui s'emparent de tous les sujets, qui ont des opinions sur tout : "les philosophes qui parlent du monde aux hommes voient le monde, mais ne voient pas que, dans ce même monde et à trois pas d'eux, leur auditeur meurt tout simplement d'ennui" (p.128) Il est également ce qu'on appellerait aujourd'hui un visionnaire puisqu'il décrit une terre en pleine crise écologique (La houille jaune) à cause du profit à tout prix, une société qui marche totalement sur la tête et qui s'empare d'un phénomène de foire pour faire des affaires (La métaphysique articulaire), de nos jours, cet homme qui tente de mordre son coude serait une "star" de la télé et des émissions bas de gamme ; il parle aussi de littérature et des écrivains qui ne recherchent que la gloire : "Des écrivains de valeur ! (...) Il faudrait diviser votre premier mot en deux : écri-vains. de vains écrits sans valeur. Effectivement ce n'est pas ce qui manque."(p.29), on pourrait même croire que Sigismund Krzyzanowski connaissait le phénomène de la rentrée littéraire française : "les lourds camions littéraires de ces dernières années roulant à vide traversèrent avec fracas ma mémoire." (p.15)

Il bâtit ses histoires, parfois en partant d'un rien, juste d'une idée farfelue, comme cet homme qui veut mordre son coude, ce fossoyeur qui voit et entend les morts ou ce petit homme qui vit dans l'oeil d'une femme et à chaque fois son idée monte en puissance, dérive vers des considérations philosophiques, sociétales : ses personnages sont totalement déjantés, mais ses réflexions sont intelligentes, fort bien formulées et passionnantes.

Une lecture décapante et originale, pas banal pour des écrits impubliés en leur temps et qui datent de presqu'un siècle. A découvrir absolument
Lien : http://lyvres.fr
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Ce livre est un recueil de nouvelles comme il y en a peu. On y apprend qu'un produit appliqué sur les murs a la propriété d'agrandir la pièce que limite ceux-ci et où un homme devient un héros national à force d'essayer de se mordre le coude.
Des nouvelles intéressantes, bien écrites mais surtout d'une originalité remarquable. Un résultat qui me fait penser à un milieu entre les nouvelles de Gogol et les récits de Jonathan Swift. Ce qui rend le livre d'autant plus intriguant, c'est l'histoire de l'auteur même. Connu et estimé dans le milieu des arts à l'époque, époque où Staline sévit et où la publication de livres doit se plier à des diktats serrés... et on peut imaginer que Staline et la Créativité en littérature ne faisaient sûrement pas très bon ménage à l'époque... ce n'est que 40 ans après sa mort que Sigismund Krzyzanowski (si vous jouez au Scrabble, retenez ce nom !) sera plublié. Les six nouvelles du recueil sont ciselé d'une écriture fine et efficace.
On s'étonne et on s'émerveille. Un petit livre précieux et injustement méconnu.
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Il m'en aura fallu du temps pour apprivoiser ce texte qui est, aux abords, facile d'accès mais qui devient nettement plus ardu une fois que la narration se met en place. Car Krzyzanowski part d'évènements bénins de la vie quotidienne pour faire des digressions sur l'existence, sur la philosophie et sur des thèmes nettement plus abstraits.

C'est ainsi que dans la première nouvelle - car c'est bien un recueil de nouvelles que nous avons là - nous partons d'un homme croulant sous les souvenirs accumulés dans son modeste appartement et qui en vient à retomber sur l'ami marque-page, échoué dans une de ses lectures abandonnées. Ce petit objet de tissu, tout à fait providentiel, va l'amener à réfléchir sur sa situation actuelle, sur la marche du monde. C'est un homme qui fait une rétrospective sur son passé et qui cherche à partager idées et réflexions avec de sombres inconnus mis sur son chemin. C'est ainsi que de fil en aiguille le narrateur en vient à sortir de chez lui, à venir à la rencontre de l'autre pour s'exposer dans son individualité et ses spécificités. du prétexte du marque-page, nous en arrivons à un dialogue des plus fouillés avec un inconnu, presque aussitôt surnommé l'attrapeur de thèmes. Tout parait loufoque, sans lien apparent et pourtant c'est avec une logique implacable que notre narrateur prend congé de nous en rouvrant un carnet où avait pris place le marque-page.
On se demande en fin de compte si la page où s'était arrêté le marque-page avait un intérêt quelconque dans le déferlement d'idées, dans la soudaine inspiration de notre héros. Et ce sont ces questions restées sans réponse qui laissent une certaine énigme à cette histoire sans queue ni tête.

J'ai détaillé cette première nouvelle car c'est elle qui donne son nom au livre, elle qui semble ouvrir la porte à l'imagination et nous insuffler une bonne dose de perplexité. Car je pense que l'auteur s'est voulu insaisissable et en parcourant les biographies j'ai pu voir que c'était la nouvelle qui faisait le plus écho à sa vie. On ne voit pas bien le trame autobiographique mais cette ouverture au monde peut faire écho à chacun de nous.
Car un mince objet, une relique du passé sur notre route et le champ des possibles peut à nouveau s'ouvrir soit sur ce qui a été, soit sur ce qui pourrait être.

Dans la même veine, on poursuit le voyage avec "La superficine", seconde nouvelle où un narrateur reclus dans son 8m² se voit proposer, par un visiteur du petit jour, une sorte de potion qui par application sur les murs agrandirait les pièces. Ni une ni deux, notre narrateur vide le flacon en enduisant les murs copieusement et c'est dans une sorte de douce folie que nous voyons peu à peu la pièce gagner en longueur (et pas en hauteur de plafond). On gagne en surface mais les problèmes demeurent et notre narrateur perd pied, en ne trouvant plus les murs qui s'éloignent, le laissant seul avec son lit.

Je pourrais détailler toutes les nouvelles qui ont un zeste de Kafka, une pointe de Carroll comme avec cette troisième nouvelle où un héros - toujours masculin le personnage principal - voit dans les yeux de son amie un petit bonhomme bien expressif qui lui fait signe. Au lieu de s'arrêter à la bizarrerie de la situation, le narrateur décide de suivre cette petite chose hantant la pupille de sa compagne. Et il parait tout à fait normal que notre héros se fonde sous les paupières pour voir ce qu'il en est et visiter l'étrange repère du petit homme à la pupille. Pris au piège, les yeux n'offrent que peu de champs de sortie, surtout lorsque le refuge bien agréable pour un temps est noyé dans l'obscurité par des paupières fermement baissées.

Je ne saurais trop dire comment j'ai accueilli ce recueil de nouvelles car il est vrai que j'ai eu énormément de mal à garder le fil dans la nouvelle du marque-page - dont le titre m'intriguait grandement - et ai été davantage charmée par les petits récits lui faisant suite comme la nouvelle faisant l'apologie de la haine dans un futur proche. La haine serait le principal carburant qui viendrait alimenter nos demeures donc la population est priée de haïr la société avec entrain.

Loufoque, original... voilà un recueil qui a de bonnes ressources pour exister et dont le style est plein d'intelligence.
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