Dans une pièce brève mais intense, Lagarce interroge la parole et sa puissance dans une mise à nu du langage. Ici, 50 pages sont remplies pour dire le vide et le rien, les volontés multiples et répétées de faire retour sur la vie d'un trio amoureux défait accouche uniquement sur des rancoeurs, des colères et des ressentiments tous inexplicables. Pierre est “taciturne”, Hélène se présente sous des apparences hautaines et parfois désagréables, Paul interrogeant sans cesse ses anciens compères joue le rôle d'un médiateur inefficace. Entre agacement, hargne et cris successifs, la parole sort meurtrie, abîmée, abusée et vide de sens. L'épisode final de la pièce montre la résonance à vide du langage qui n'exprime que des banalités et des insultes. La pièce fait donc partie de ces dystopies, où l'histoire racontée est subordonnée à une histoire passée, récit d'une amitiée défaite, gouvernée par la parole maîtresse de la situation, que personne ne peut réellement contrôler.
Le lecteur doit donc initier parallèlement à sa lecture une réflexion sensible l'amenant au contact du passé, de l'avenir et des liens qui unissent les différents personnages. Ce dernier, le lecteur se doit de faire sa propre enquête, de penser dans sa tête une pièce alternative, où la parole devenue efficace donne place à un dialogue concret attestant de la force du langage et du lien entre les personnages. Pièce pleine d'interrogations, elle est de ces textes fondateurs d'une expérience de lecteur et de lecture en nous questionnant sur la littérature elle-même, sa force et ses horizons.
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vestige d'un amour passé à trois, Paul et Hélène qui étaient partis pour se marier, qui se sont séparés, reviennent avec nouvelle femme, nouveau mari, et une fille, dans la maison où est restée Pierre.
Des bribes des dialogues ou discussions – et montent les mensonges, les vérités assénées qui ne sont peut être que de maintenant, se glissent les petites perfidies, les non-dits, interviennent qu'ils le désirent ou non, les trois pièces-rapportées..
Fin de l'amour – ce qu'il pouvait cacher
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Une pièce qui repose sur les non-dits, les silences. La narration n'est pas linéaire même si elle progresse - ou plutôt se décale : à la fin, la situation n'est plus la même qu'au début. Les personnages ont vieilli/mûri, les amours ont laissé place à l'indifférence qui est peut-être pire que la haine, puisqu'il n'y a pas de vraie dispute, seulement des remords.
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" ANNE. - Vous me trouviez extrêmement sympathique, vous avez dit cela plus haut, vous avez glissé cela, mine de rien, au milieu d'une de vos longues et inépuisables digressions, je l'ai noté. Cela m'a fait plaisir. Est-ce que vous n'avez pas dit cela ? Je me trompe? Presque au début, j'ai trouvé cela gentil, oui, le mot, gentil.
Me trouvez-vous toujours aussi sympathique, là, maintenant ? Nous ferons le point, voulez-vous, de temps à autre pour évaluer où nous en sommes, la sympathie que vous avez pour moi, le degré de sympathie que vous aurez encore pour moi.
ANTOINE. - Je vous tiendrai au courant. "
ANNE. — Ce que je souhaite dire : il faut que vous le compreniez, cela m'ennuierait que vous vous mépreniez à son sujet. Il a pensé très longuement à vous. Je ne voudrais pas m'avancer, parler à sa place, il pense souvent à vous et vous êtes de ces gens, qui, dans sa vie...
Il est assez malheureux, c'est cela, assez malheureux de cette distance qu'il y a aujourd'hui entre vous. Vous ne répondez pas aux lettres et très souvent, vous prétendez être parti en voyage. Ce n'est pas vrai, bien sûr, il le sait mais il ne peut rien y faire. Parfois, d'une manière ou d'une autre, vous devriez lui répondre. C'est ce que je souhaitais dire.
PIERRE. — Je suis souvent absent.
ANNE. — Oui. C'est ce que je dis.
Il a peur peut-être qu'un jour vous ne mouriez sans qu'il en soit averti.
Lise : Ils ont un peu tout fait ; ils sont assez représentatifs, famille de la bourgeoisie naissante provinciale et commerçante, Poitiers, Dijon, Rouen, le triangle terrible, études larvaires, revendications diverses postadolescentes, montée vers la capitale, tentatives artistiques; littérature allemande et cinéma quart-monde, revendications diverses préadultes, fuite de la capitale, descente, l'air pur, "la vraie vie", alternatives animales, mauve et rose tyrien, le bonheur, le paradis, cette maison-ci, puis éclatement encore..
Hélène : Je mentais.
Je mentais, peut-être ai-je toujours menti, je ne sais pas, c'est possible. Peut-être ce n'est pas très agréable à entendre, mais lorsque je vous revis, là, aujourd'hui, peut-être ai-je compris ça, au moins ça : je mentais tout le temps, tellement.
PIERRE. — Ce qu'il fallut faire, c'est vivre, j'entends par là manger, payer le «loyer ridicule» — vous avez attendu deux ou trois années avant d'en parler, l'écrire —, gagner ma vie, l'argent, tout ça. Subvenir à mes besoins, c'est comme cela qu'on dit. La plaisanterie, c'est ainsi que j'appelle parfois ma jeunesse, la plaisanterie devait se terminer.
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Quelle pièce de théâtre sur l'impossibilité de communiquer au sein d'une famille fut écrite par un écrivain atteint du sida et mort à 37 ans sans qu'aucun théâtre l'ait accepté ? Aujourd'hui, c'est un classique ?
« Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, c'est à lire en poche chez Etonnants classiques.
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