Michel Lallemant, professeur de sociologie du travail au CNAM, s'intéresse aux micro sociétés utopiques américaine, appelées "intentional communities" et, en particulier l'une d'entre elles, Twin Oaks.
Fondée en 1967 dans l'État de Washington DC, Twin Oaks a développé son activité jusqu'à nos jours sur l'emplacement d'une ferme tabatière de Virginie. Inspirée à l'origine du Walden de
Henry David Thoreau, mais surtout d'un remake moderne, Walden II, publié en 1948 par
B. F. Skinner, psychologue béhavioriste qui gardera un oeil bienveillant mais distant sur l'expérience inspirée de son livre.
Michel Lallemant, en sociologue scrupuleux, s'appuie sur le dépouillement des archives : rien n'est laissé dans l'ombre de la vie de la petite communauté, composée d'une centaine de personnes, jeunes blancs, issus des classes moyennes, éduqués, d'origine plutôt urbaine, dans laquelle il a séjourné.
Comme dans la plupart des micros sociétés utopiques, les idéaux sont la tolérance, la solidarité, le respect, avec une tonalité spiritualiste, non-violente et suspicieuse à l'égard de la modernité.
Confrontée aux nécessités économiques, la communauté se spécialise très vite dans la fabrication de hamacs, et de semences végétales, seules activités rentables compatible avec ses exigences libertaires. Après avoir essayé tous les systèmes d'attribution de crédits de temps de travail, en les affectant d'un coefficient en fonction de leur pénibilité ou de leur attractivité, la communauté en est revenue au système assez simple où tous les travaux sont partagés également. Mais chacun doit donc travailler au moins 40 semaines, sept jours sur sept. La retraite n'est guère envisageable avant 92 ans (p. 378) ! Les enfants doivent travailler à partir de 7 ans sur une base un peu moins contraignante. Chacun ne dispose que de trois semaines de vacances par an. Un siècle de conquêtes sociales semble aboli ! Chiffre en mains, l'utopie n'est pas le paradis rêvé. A ce prix, la communauté a survécu un demi-siècle en sachant s'adapter, quitte à s'éloigner des idéaux de ses fondateurs.
L'étude aura montré, au passage, la fragilité de ces communautés d'intentions -ainsi dénommées au États Unis-, frappées d'une "mortalité infantile" les concernant élevée et d'un turn-over important. A peine 5 % des communautés d'origine subsistent aujourd'hui.
Contrairement à l'idée reçue, les communautés libertaires ne sont pas les plus fragiles, et les communautés charismatiques ne sont pas les plus viables à long terme. L'important, pour la réussite, "n'est pas tant le choix d'un mode d'organisation plutôt qu'un autre... que la cohérences des différentes pièces assemblées pour faire communauté" (recrutement des membres, prise de décision,organisation de travail... (p. 509)
L'auteur nous invite donc à « prendre au sérieux ce que les communards font… les communautés ne sont pas des scories de la modernité… notre futur commun pourrait être celui d'une société communautaire » (p. 526).
Mais si "l'utopie est là où se bricole le monde" selon son heureuse formule (p. 534), avant que la multiplication des petites entités alternatives ne bouscule l'ordre social dominant, on peut craindre que Sisyphe ait le temps de rouler longtemps son rocher !
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