Gaston est déjà subversif en bd, mais avec les commentaires de la quinzaine de philosophes qui ont contribué à ce livre, je suis maintenant chauffé à blanc. Tous ces points de vue ont été très stimulants pour moi, d'où cette petite improvisation du bonhomme de chemin de Gaston (suivie d'un commentaire).
IMPROVISATION. Après une honnête carrière dans l'entreprise, il s'est fait élire comme député par tous les lecteurs.
C'est d'ailleurs son neveu qui travaille maintenant dans l'entreprise, exactement dans le style de son oncle si vous voyez ce que je veux dire.
L'oncle Gaston est à présent très fier d'annoncer à son neveu que les députés viennent juste de voter une série de mesures. L'énoncé commence ainsi : « La TVA à taux 0 sur les produits de première nécessité, le même montant de retraite pour tous, l'ISF bien salé, des héritages super plafonnés, etc… »
Prunelle, de Mesmaeker et une partie des salariés, s'exclament auprès de l'oncle Gaston : « PUISQUE C'EST COMME CA, ON VA QUITTER LE PAYS ET METTRE NOTRE ARGENT AILLEURS ! ».
Puis les choses se mettent en place dans une ambiance légèrement anarchique comme d'habitude, et par miracle, la fermeture de l'entreprise n'a pas lieu.
Tout le monde l'avait pourtant parié, comme on avait parié quelques dizaines années auparavant que Gaston allait sûrement se faire virer de sa boîte.
FAIRE COMMUN.
Bruno Latour tente de décrire, d'une façon très intellectualisée presque irréelle, comment le miracle peut se produire grâce à la souplesse des personnages, acquise au cours de l'expérience. Dans la vraie vie, les personnages sont les lecteurs-électeurs sans oublier nos intellectuels, qui prouvent par l'expérience de ce livre qu'ils savent faire commun, même
Eric Fiat, qui en tenant le tribunal de la paresse et de l'égoïsme, se retient malgré tout de juger hâtivement.De son côté
Guy Debord, commenté par
Martin Legros, suggère « la situation construite : un moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l'organisation collective d'une ambiance unitaire et d'un jeu d'évènements».
Mais on n'est pas obligé d'être d'accord avec
Luc de Brabandere qui voudrait transformer Gaston en Chief Fun Officer.
Frédéric Schiffter apporte d'ailleurs la contradiction en décourageant toute tentative de programmation neurolinguistique (ou équivalent).
En étudiant d'autres influences outre-Atlantique, Michel Lallemand fait plutôt importer l'esprit hacker, et dans une version cette fois hexagonale,
Pascal Chabot qui est spécialiste de
Gilbert Simondon, encourage le « techno-anarchiste » en ce qu'il refuse de réduire la technique à « l'utile et au productivisme ».
Cette attitude a le pouvoir de multiplier par avance les solutions aux changements de priorité qui pourraient survenir. Mais ça implique beaucoup de patience. En attendant, les machines de Gaston dont les commentaires saluent l'aspect visionnaire, le sont en effet car elles sont maintenant reçues par notre environnement, mais en répondant à une priorité productiviste qui est sensiblement restée la même.
L'AMOUR DES PLANTES ET DES ANIMAUX. On doit déclarer au préalable au tribunal de la paresse et de l'égoïsme, incarné par
Eric Fiat, que non, Gaston n'est pas « aveugle » à l'égard de l'amour, comme le prouve cette planche extraite de la « Saga des gaffes » : « Nous allons dormir pour la première fois sur notre île…Jeanne ».
Ce préalable est important car le tribunal tente de vite faire le procès de l'écolo en arguant sournoisement que « le rapport aux animaux est évidemment plus simple que le rapport aux hommes ».
Le préalable c'est l'amour, pour le reste, les expériences avec les êtres vivants sont diversifiées comme les êtres vivants sont diversifiés. Puisque certains comme Kymlicka et Donaldson pensent « la citoyenneté animale », pourquoi ne pas commencer par la citoyenneté des plantes et phytoplanctons sans lesquels on ne pourrait pas respirer... Cependant si ce type de question peut faire du sens, en revanche on aura du mal à faire commun en faisant importer
Aristote, tant cette référence à elle seule est capable de diviser ou créer de la distance.
Yves Citton fait importer la notion d'hyperobjets de
Timothy Morton, pour décrire des situations « ingérables, indépêtrables » comme le dérèglement climatique…ou comme la prolifération des cactus greffés par Gaston. « Mais Gaston ne serait-il pas lui-même un cactus ? ». Par sa manière d'être (et la couleur de son pull-over), il y aurait un « bel emblème d'écologie politique », caractérisée par « une proximité et une temporalité respectueuse des ambivalences inhérentes aux complexité de notre monde d'hyperobjets ». A méditer.
RIRE. Tous ces commentaires qui opposent l'expérience très vivante de Gaston aux raideurs de notre société, trouvent le ressort du comique, qui est d'après Bergson, « du mécanique plaqué sur du vivant ». Tous invoquent l'humour comme moyen de faire commun, mais on ne rit dans ce livre que par la grâce de l'artiste et ses planches heureusement très présentes.