Il est des livres dont on rêverait de rencontrer leurs auteurs autour d'un café, pour une promiscuité d'expériences, une connivence d'idées, un partage d'émotions.
Celui ci en est un. Dans ce texte qui se veut avant tout un hommage à son père décédé, l'auteur se livre, évoquant ses longues et lointaines errances (Mexique, Andalousie...), ses tâtonnements de jeune chien fougueux et rebelle, ses mille métiers, son amour des mots et celui de sa ville, Marseille. Il y dit aussi ses combats, ses résistances, sa confiance en l'humanité et sa volonté inébranlable de défendre la liberté envers et contre tout.
Aussi, quand déferle la première vague de la pandémie et son cortège d'interdictions, cet amoureux du vent piétine, confiné comme tout le monde devant son écran et ses échappées virtuelles. Mais surtout, il expérimente l'impensable, vivre la mort sous couvre-feu sanitaire.
En mars 2020, son père est hospitalisé en attente d'une intervention. Comme tant d'autres, il sera "déprogrammé " sine die et muté dans un établissement souvent cité dans l'ouvrage de
Victor Castanet "
les fossoyeurs ".
Commence le parcours du combattant. (Après tout, nous étions en guerre, le vocabulaire idoine n'est donc pas usurpé...) Impossible de voir son père, de lui parler; les standards saturent sous les appels des familles en souffrance.
Par mail, il apprend que le vieux monsieur "glisse", lâche prise. Il s'éteint seul et sans adieux. La famille pourra voir rapidement sa dépouille reléguée dans un local sordide, et interdite de crémation, recevra l'urne et les honoraires afférents.
Une société qui perd le contact avec la mort est une société amputée de vie. Parce ce que les deux sont inséparables, parce ce que des millénaires de rites et de cérémonies nous rappellent que le passage du défunt vers d'autres lieux doit permettre aux vivants de se réapproprier le paysage nouvellement amputé.
Sans doute avons nous tous des souvenirs ubuesques de ce moment de folie collective. J'ai vécu comme l'auteur ce chemin d'embûches ayant une Maman souffrant de troubles cognitifs et vivant en Ehpad. A moi, il a été interdit de voir sa dépouille. Sans doute le virus avait-il des appétences particulières pour les défunts...
Alors, bien sûr, ce livre m'a bouleversée, me parlant dans une région intime du coeur. J'ai rêvé comme l'auteur qui cite
Alain Damasio "d'un carnaval de fous qui renverse nos rois de pacotille".
Ce livre n'est pas un roman, mais un texte témoignage, alternant coups de gueules avec des passages d'une indicible poésie pour évoquer un vieil homme épris de botanique, pour dire ces gestes de solidarité qui ont bravé les interdits, pour saluer ceux dont le courage l'a emporté sur la peur martelée.
Je termine ce billet sur une citation. " le rétrécissement du domaine de la lutte précède t'il son extinction ? Jamais on ne nous a traité aussi ouvertement en gogos, autant qu'en troupeau à immuniser et à déshumaniser. Il faudrait le génie d'un Kafka pour dépeindre la claustrophobie et la paranoïa générale qui se sont emparées de ce pays. Il faudrait trouver les ressorts d'un roman picaresque, d'un récit vengeur là où la réalité suinte le contraire : impuissance, aliénation, morosité. "
Pour ce beau texte, je remercie les Éditions Hors d'Atteinte et Babelio.