Histoire du Berry

Livre étonnant, saturé d'informations, qui - faisant la synthèse de l'état actuel des connaissances académiques - règle impitoyablement leur compte à quelques légendes commerciales, artificielles et tardives, relevant de l'historiographie louis-philipparde et entretenues par les opérateurs analphabètes du grand tourisme, pour recentrer l'étude sur les vraies figures du Berry.

Spontanément, ou par un calcul ingénieux assez subtil, M. Legeard présente le Berry à travers la succession d'une galerie de portraits vivants et colorés

Cela me donne l'occasion de découvrir ainsi deux personnages totalement inconnus des historiens eux-mêmes (un milieu que je connais bien) - "l'Archiprêtre" et Pierre-Anastase Torné - dont on comprend avec étonnement l'importance bien qu'aucune recherche (j'ai vérifié, merci) n'ait été produite à leur sujet jusqu'à présent, donc c'est aussi un travail d'avant-garde historique. Il y a par conséquent un côté pionnier comme avec le siège de Germigny-l'Exempt dont M. Legeard a été le tout premier à examiner l'événement alors qu'il représente visiblement un tournant capital dans le développement du domaine capétien, donc dans l'histoire de France, et qu'il donne l'impulsion à l'ascension des Bourbons, jusque là d'obscurs "chevaliers du Berry" sans aveu, "comtes" autoproclamés d'une "principauté" imaginaire grignotée sur les marges des fiefs déliquescents.

Le style est frappant aussi non seulement par sa grande clarté, mais par l'absence de jargon, de relâchement de langage, d'anachronismes, de wokisme - dont, franchement, tout le monde a plein le dos. Mais il ne s'agit pas pour autant d'un style "blanc", aux qualités seulement négatives, sans quoi on négligerait de le relever, il passerait, comme on dit, "sous le radar". Au contraire, c'est un style carnassier, très personnel, à la fois fort et souple comme la musculature d'une panthère. S'attend-on à trouver quelque chose de semblable dans un livre d'histoire aujourd'hui? Il faut remonter assez loin dans le temps, quand l'histoire avait des auteurs. le malheur, c'est qu'aujourd'hui, elle n'a plus non plus de lecteurs, j'entends de lecteurs suffisamment sensibles aux beautés d'une langue qui meurt - qui peut-être est déjà morte.

Enfin, j'ai été puissamment intéressé, sachant qu'il a consacré plusieurs années à l'étude de l'image, notamment sous la direction de P. Brunel, par l'analyse que M. Legeard fait des armoiries parlantes de Jean de Berry. Je crois que la plus-value qu'il apporte, en l'occurrence, est vraiment digne d'être prise en considération.

Bref, il ne s'agit pas d'un de ces livres "jetables" comme on en produit maintenant en masse qui alimentent la chaudière ou qu'on retrouve dans les horribles "boîtes à livres" un mois plus tard. C'est un livre qu'on garde dans sa bibliothèque, même s'il n'est pas relié en maroquin rouge et doré sur tranche. le contenu vaut quelquefois beaucoup mieux que le contenant (mais il n'est pas sûr que notre époque de "précession des simulacres" le comprenne très bien).

L'indigence éditoriale désolante est très bien expliquée par les économistes spécialisés: le secteur de l'édition française, qui a été racheté en quasi-totalité par trois financiers au cours des "années Mitterrand", a été happé dans un mouvement concentration et de conformisme insipide qui s'explique par l'enjeu économique: on compte sur la rotation rapide des stocks (en fait, principalement sur la logistique) pour faire du profit.

On mise donc, délibérément, sur "l'éphémère", c'est-à-dire sur le jetable et le répétitif sans valeur: aussitôt lu, aussitôt oublié, tandis que les ouvrages de qualité qui sont, rappelons-le, la base de toute civilisation, ne trouvent plus qu'exceptionnellement un éditeur: chose inouïe, et pourtant c'est un état des lieux lucide qui ne peut être contesté.

Alors, longue vie à Gisserot qui nous donne à lire, encore, des ouvrages de très haute valeur comme, cette année, le Dictionnaire des Celtes d'Olivier Buchsenschutz, La Femme au Moyen Âge de Jean Verdon ou L'Histoire du Berry, d'Emmanuel Legeard.

Il n'y a jamais eu de « province du Berry ». le Berry n'a jamais eu d'existence à part de la France, c'est une terre profondément mérovingienne, puis carolingienne, et enfin capétienne. C'est le coeur de la France même. Dès le VIIe s., avec Austrégésile, les archevêques de Bourges sont les artisans les plus dévoués de la monarchie franque. Puis les carolingiens, au VIIIe s., s'appuient sur la cité biturige pour assurer leur dominium sur la Gaule méridionale. Enfin, malgré l'explosion de l'individualisme féodal et l'effondrement du pouvoir central, les capétiens s'empressent de s'assurer la mainmise sur Bourges.
Le livre règle ensuite leur compte à une série de fariboles concernant, entre autres, la figure de Jacques Coeur, dont l'historiographie libérale orchestrée par Guizot a falsifié la biographie pour servir les intérêts de la Monarchie de Juillet et assurer le triomphe des puissances d'argent. En contrepartie de la démolition de ces vaches sacrées et autres créatures de papier, l'auteur présente de vrais acteurs de l'histoire du Berry, hauts en couleur, comme le redoutable et pittoresque capitaine de grande compagnie, appelé l' Archiprêtre, ou le sinistre et sordide Torné qui fut l' instigateur fanatique de la Terreur en Berry.
Ce livre, très innovant, tient compte des toutes dernières études académiques, donc confidentielles que l'auteur vulgarise dans un style limpide et fort pour les mettre à la portée de tous.
Il s'agit là de la toute première histoire du Berry qui ne se soucie aucunement des traits folkloriques ou des particularismes locaux et articule l'histoire du Berry comme il se doit avec la grande histoire.

Un livre qui bouscule les conventions établies autour de bien des événements, à commencer par le siège d'Avaricum par Jules César, offrant une analyse novatrice et éclairante sur cet épisode finalement méconnu de la Guerre des Gaules. le chapitre sur la religion des Gaulois Bituriges est passionnant.

L'Histoire du Berry dévoile de nouvelle facettes de la région en mettant en lumière des personnages jusqu'alors ignorés du grand public. Parmi eux, Arnaud de Cervole émerge comme une figure centrale, ayant joué un rôle crucial en tant que capitaine de "grande compagnie" pendant la guerre de Cent Ans. À travers une recherche méticuleuse, le livre esquisse le portrait fascinant de ce reître légendaire, explorant ses motivations et son impact sur le Berry.

L'analyse psychologique de Jean de Berry est épatante. Elle est certainement très juste. Mais l'exploration ne s'arrête pas là et plonge également dans les méandres de la Terreur révolutionnaire pour mettre en lumière la figure sordide et intrigante de l'évêque Pierre-Anastase Torné. Ce personnage énigmatique, longtemps relégué aux marges de l'histoire, révèle toute sa complexité sous la plume de l'auteur, qui décortique ses actions et son influence pendant cette période tumultueuse.

Cette Histoire du Berry se distingue par sa rigueur historique et sa capacité à dévoiler de nouveaux horizons dans l'étude de l'histoire régionale. À travers une écriture sobre et documentée, Emmanuel Legeard offre aux lecteurs une perspective rafraîchissante sur des événements qu'à tort, on croyait acquis, tout en dévoilant des personnages intrigants et méconnus qui ont façonné le destin de la région... laquelle n'est PAS, et n'a jamais été une province (ce dont j'étais persuadé)! Un ouvrage incontournable pour les passionnés d'histoire de France.